Les vendanges à Ceaux
En des temps pas si éloignés, et un peu avant que la mécanisation agricole devienne cette machine infernale qui redessine nos campagnes, de vieux noyers, des merisiers et toutes sortes d’arbres fruitiers parsemaient les terres agricoles de la commune et de nombreuses haies ceinturaient les prairies qui existaient encore. Chaque ferme avait ses vaches et son élevage de porcs ou de chèvres. La vie était plus douce et le temps s’écoulait lentement ; du moins on en avait l’impression ! Les travaux des champs étaient pénibles mais nos aïeux en avaient vu d’autres. Les remembrements successifs ont fini par prendre le dessus sur ces paysages bucoliques, véritables tableaux dessinés par le temps et les hommes. Les fermes vivaient en autarcie et les saisons étaient rythmées par les travaux successifs que dame nature nous imposait.
Qui se souvient encore de la période des vendanges ! Que de souvenirs remontent dans nos mémoires. Dans chaque ferme, il y a encore un vieux pressoir, une cave, un cellier, des barriques, quelques cuves à vin… témoins d’un passé pas si lointain. Chaque famille dispose de quelques vignes et nos anciens, pour le temps d’une semaine ou deux, s’improvisent des vignerons ou maîtres de chais pour les plus appliqués. La consommation de vin venait exclusivement de ces petites productions locales, véritable piquette pour hommes de troupe pour les uns ou breuvage plus délicat et subtil pour les autres.
Au milieu de nos campagnes, dans des zones plus favorables à l’ensoleillement et bien exposées, nos parents et grands-parents entretenaient quelques carrés de vigne. Aussi, on retrouvait des endroits ou lieu dits ou la vigne prenait le dessus sur toute autre végétation ou culture ; quelques noms me reviennent à l’esprit… Magot, Balleron, le clos gouin, chavagne….et quelques autres, lieux bénis pour les grives et fréquemment visités par nos amis chasseurs en période d’ouverture. La proximité de l’appellation « chinon », ne faisait pas pour autant de la commune, un terroir d’exception, digne des grands crus mais chacun s’appliquait de son côté et c’était même pour certains, une fierté que de faire déguster sa production personnelle aux visiteurs avertis. Des noms de cépages me reviennent à l’esprit.. chenin, folle, oberlin, cabernet, sauvignon, 54/55….toute une histoire aujourd’hui presque disparue!
Que de souvenirs à l’occasion des vendanges ; c’était souvent jour de fête, toute la famille, les amis, les voisins, se rassemblent au petit matin, équipés chacun de sa cassette, de son sceau et de son sécateur fraîchement aiguisé. Ce jour là avait une saveur particulière ; une forme d’ excitation nous envahissait, les premiers jours d’automne amenaient avec eux la douceur apaisante de l’après été, les premières pluies de saison faisaient remonter de la terre ce parfum si particulier qu’on ne pouvait associer et percevoir qu’à cette seule période. Les « couettes » prêtes à recevoir les belles grappes trônaient fièrement au bout de la vigne, sur la remorque, tractée par le modeste mais increvable Massey Ferguson 35 chevaux ! Le porteur de hotte n’était pas toujours à la fête, il fallait faire les allers et retours et manoeuvrer du haut de l’échelle, le fouloir à manivelle, véritable engin de torture, qui comprimait le raisin entre deux rouleaux cylindriques dotés de redoutables arêtes. Les sécateurs claquaient , les belles grappes gorgées de jus tombaient dans les seaux et les cassettes. Comme on pouvait également parler en même temps que nos mains dégagent les feuilles pour accéder aux grappes de raisin, il y avait forcément des personnes pour qui la conversation devenait une nécessité et l’occasion était trop belle pour ne pas s’en priver ! Que d’histoires (les petites comme les grandes) se racontaient entre les rangs de vigne, que de rires viennent entrecouper les efforts fournis par ailleurs, les enfants jouaient et couraient au milieu des vendangeurs … des petits bonheurs simples, mais tellement authentiques ! La maîtresse de maison n’était pas forcément la moins sollicitée pour une telle journée ; il fallait nourrir tout ce beau monde et on ne lésinent pas sur la nourriture ; tant pour réconforter et requinquer les vendangeurs d’un jour que de faire la démonstration qu’on savait recevoir ; la réputation de la famille était en jeu… ! Les pâtés et les rillettes, « fait maison » figuraient en bonne place sur la table des convives, des odeurs alléchantes remontent des fourneaux et de délicieuses volailles bien charnues venaient remplir les assiettes des invités.
Pour autant le travail n’était pas terminé, les enfants étaient mis également à contribution le soir venu ou le lendemain, quand la récolte était ramenée à la maison. Il fallait fouler le raisin dans les « cuettes » pour écraser les grappes. Le pressoir était préparé, la cage se remplissait de ces grappes toutes juteuses et ensuite on entendait le cliquetis du mécanisme qui descendait doucement sur la vis sans fin venir extraire le liquide sirupeux et sucré sous les efforts de celui qui le manoeuvrait. Le jus s’écoulait lentement à travers la cage en bois et venait remplir une cuve située en contrebas. Le travail était encore loin d’ être terminé, il fallait ensuite transvaser le précieux liquide recueilli dans cette fosse étanche, vers les barriques que l’on avait soufrées au préalable. Pas de pompe électrique à cette époque, c’est une bonne vieille pompe à bras qu’il fallait manoeuvrer pour l’opération et le « maître de chais » mouillait sa chemise pour les efforts que cela demandait.
La fête ne s’arrêtait pas là, les jours suivants pendant que le jus bouillait encore dans les “cuettes”, la “bernache” prenait doucement naissance ; ce breuvage sucré en pleine fermentation alcoolique, trouble à cause des levures en suspension et des particules de raisin. On pouvait en consommer pendant quelques jours (voire plus pour quelques apprentis sorciers pas trop scrupuleux qui la maintenaient artificiellement dans cet état selon des méthodes et des procédés connus d’eux seuls..ou presque!). Ce breuvage était fort apprécié et il ne fallait pas en abuser, d’une part en raison de l’alcool qu’il contenait déjà mais également pour quelques effets secondaires et indésirables qu’il provoque par la suite… C’était souvent la boisson préférée des amateurs de foot le dimanche après-midi autour de la buvette du stade municipal.
Il ne subsiste plus que quelques vignes sur la commune et quelques passionnés pour perpétuer encore cette belle tradition. Saluons nos derniers apprentis vignerons ; ils sont notre mémoire et nous rappellent chaque automne l’histoire de notre village. Ils ont d’autant plus de mérite qu’ils le font plus pour le côté festif et le maintien de cette belle tradition que pour en tirer un quelconque profit .