Le patrimoine immatériel

Le patrimoine immatériel

Parler du patrimoine immatériel de Ceaux-en-Loudun pose le problème d’un village sans particularités marquantes qui le distingueraient des villages environnants. Cependant j’ai moi-même fait un grand nombre d’observations vues, entendues à Ceaux aujourd’hui ou racontées, relatées par mon père, Maurice Raymond, né à Ceaux en 1911 et mon grand père, Casimir Raymond, agriculteur durant toute sa vie d’adulte à la Gouinière.

Je n’ai pas la prétention de couvrir tous les domaines du patrimoine immatériel de ma commune. Je livre ici mes remarques en fonction de mes connaissances personnelles sans me livrer à une étude rigoureuse et encore moins scientifique.

Observations sur la langue

Ceaux est situé dans cette frange nord-Vienne, tampon entre le Poitou, la Touraine et l’Anjou ; donc son patrimoine linguistique ressent l’influence de ces trois provinces.

Les habitants de Ceaux ont souvent du mal à reconnaître avoir parlé, un jour, quelque chose qui n’était pas vraiment du français. Pour certains, cela semble même dégradant. Il faut dire que l’école a joué, ici comme ailleurs, son rôle de démantèlement d’un parler local.

Laissez-moi vous raconter une visite chez une ancienne « domestique de ferme » de mon grand-père (c’est le terme employé à cette époque).

Je suis allée chez Aurélie. Elle était née dans un village voisin de la Gouinière, avait travaillé chez mon grand-père avant de passer toute sa vie, après son mariage, dans une ferme distante de quelques kilomètres, et bien, elle m’a soutenu qu’elle n’avait jamais, au grand jamais, parlé « patois » de toute sa vie. Pourtant, ayant vécu 16 ans avec mon grand-père paternel à la maison, j’étais sûre de l’avoir entendu utiliser des façons de dire différentes! Au cours de cette après midi d’entretien avec Aurélie, quelques instants plus tard elle me disait :

-« Quand je parle mal, mes petits enfants me reprennent ! » (= me corrigent). 

Qu’est ce que c’était que ce « Parler mal » ?

Moi aussi j’ai longtemps cru que mon grand-père parlait un français un peu différent, mais français. Mon père, pour nous amuser peut être, utilisait toutes sortes de mots que je jugeais pittoresques mais que, bien sûr, je n’aurais jamais osé écrire dans mes rédactions ! C’était une sorte de jeu entre nous, mon père, professeur de lettres classiques, préconisait qu’on parle tous français pour mieux se comprendre en France et qu’on abandonne toutes ces particularités. Mais cela m’intriguait tellement que je suis allée à la Faculté des lettres de Poitiers et là j’ai suivi les cours d’une linguiste, spécialiste des langues régionales, Liliane Jagueneau (1950-2018), qui fait autorité en la matière. J’ai alors compris que tous ces mots faisaient partie d’une langue, peut être en voie de disparition, mais une langue avec ses règles, sa conjugaison, sa grammaire et son dictionnaire… J’ai commencé à utiliser certains mots, ou tournures de phrases de cette langue dans mes soirées-contes et j’ai été réconfortée de voir les réactions positives de mon auditoire et certains auditeurs, qui n’avaient jamais parlé patois bien sûr, venaient même me donner un complément de vocabulaire !

Parlez-vous (les) français ? Les mots du Poitou, cette « terre du milieu »

La Nouvelle République, 6 novembre 2019

En Poitou on passe la since* et on barre la porte.

* Orthographe choisie par les linguistes créateurs de l’écriture « normalisée » du poitevin qui permet d’inclure la plupart des différentes prononciations du poitevin-saintongeais.

Cartes Mathieu Avanzi/éditions Armand Colin

L’article du linguiste Mathieu Avanzi est accompagné de plusieurs cartes sur lesquelles on peut voir des zones suivant es usages régionaux de certains mots.

Les Langues en Nouvelle Aquitaine

Carte calendrier édité par la région Nouvelle-Aquitaine

Quoi qu’on en dise, l’observatrice attentive que j’étais devenue, a pu faire des remarques sur la façon de parler aujourd’hui. Façons d’ailleurs dont les habitants ne sont pas forcément conscients.

A ce propos, je voudrais relater une anecdote. Il y a une bonne vingtaine d’années, un jeune homme, petit-fils d’une famille du village, avait profité de ses vacances à Ceaux pour travailler au Centre de Loisirs. Il habitait la région parisienne et j’avais appris que son père était d’origine étrangère. Il parlait donc un français standard, hyper correct, comme on le fait souvent dans des familles aux origines étrangères désireuses de s’intégrer parfaitement.

Ce garçon n’a pu s’empêcher de s’exclamer au cours d’une réunion à laquelle j’assistais :

– « Mais vous ne parlez pas français ici ! »

Ses camarades stupéfaits le regardaient sans comprendre, déjà prêts à se rebiffer. Je lui ai alors expliqué, à lui, mais aussi à ses camarades, qu’ici on parlait français sans contestation possible mais en utilisant des particularités régionales comme on le fait dans chaque région de France, particularités qui sont les vestiges d’une langue plus ancienne.

  • Ex : barrer la porte, être rendu, ce tantôt, s’engouer, débaucher

On peut aussi remarquer les a très fortement accentués en â, la profusion de e muets, les ai, è, ê prononcés é. Les t sonnant à la fin des mots surtout pour les noms propres : Fouet, Fouquet, Chéret prononcés Fouéte, Fouquéte, Chéréte. 

Petite ritournelle dite par mon père et qui illustre bien cette prononciation:

Le couréte, le couréte

Su c’te route de Port Bouléte

Quand que l’arivéte

Pour prendre son billéte

L’train partéte.

Autrefois on disait même un sourite pour une souris, un drape pour un drap, du laite pour du lait…

Mon père disait aussi qu’on « mouillait » facilement certaines syllabes et l’exemple qu’il me donnait était le suivant :

Un jour, mon père, étant petit garçon à l’école de Ceaux, le maire était venu et l’instituteur d’alors (M. Vézien sans doute, bien connu des anciens) l’avait présenté en disant :

 -« M. Mauléon… »

Le soir mon père avait demandé à son père :

– « Je croyais que le maire c’était M. Mauillion (on accentue la prononciation du ill) mais le maître, lui, il a dit Mauléon ?… »

On dit aussi Richeillieu au lieu de Richelieu…

Ch’vailler pour Chevalier…

Une observation plus poussée et mes cours à la fac m’ont fait prendre conscience de la survivance d’une vraie langue différente du français. J’avais aussi l’avantage d’avoir la langue de ma mère née à Saint-Clair pour faire des comparaisons.

Alors à Ceaux : poitevin ou pas poitevin ? tourangeau … angevin… En effet, un nombre impressionnant de mots possèdent des racines communes au poitevin et à cette langue parlée de Ceaux, mais… mais…

Ces racines sont aussi quelquefois communes avec le tourangeau et l’angevin, venant pour la plupart d’un ancêtre commun le latin. Alors c’est le cas de dire qu’on y perdrait son latin !

Comme je l’ai dit au départ, on se trouve dans un pays de marche, c’est-à-dire de frontière, où les langues se mêlent, prenant tantôt à l’une, tantôt à l’autre. Je ne trancherai pas, chacun suivra son penchant pour déterminer son origine !

Parmi ces mots anciens inusités aujourd’hui je citerai : 

Dits par mon père : une masarinée = une assez grande quantité, contenu d’une masarine = plat ou sorte de saladier en terre.

Masarines

Le fond du saladier avait un décor floral usé par de multiples usages.

Ils font partie des objets trouvés dans la ferme de Casimir Raymond à Ceaux.

Photos : Marie-Hélène Coupaye

  • une jinchée = une petite quantité

Ces deux derniers mots on les utilisait souvent quand on se faisait servir à table pour préciser si on désirait une grosse part ou une petite.

  • Gobier = désigne une personne qui mange goulument
  • Guède = être guède, c’est être repu, ne plus avoir faim
  • D’acheti = objet qu’on achète, un gâteau d’acheti venait de chez le pâtissier, celui fait à la maison est un gâteau de fési 
  • bégaud = bête, voire maladroit
  • foupi = froissé
  • grote = petite maison de vigne
  • quervons, queurvon = récipient en terre à petit goulot pour conserver l’huile de noix

Dit par mon grand-père : bien sûr il y avait siau = seau, sabiot = sabot, Ciaux = Ceaux.

Des mots ou des expressions plus savoureux à mon goût comme :

  • Tuer la chandelle = éteindre la lumière
  • perruquier = coiffeur
  • drogues = médicaments
  • plumer les légumes = éplucher les légumes
  • une noce de pain = une bouchée de pain
  • j’va y assayer, ma chère fille = je vais essayer de le faire. 
  • Ma chère fille est une sorte de formule passe partout : Mon cher fi, Ma chère fille n’indique pas forcément un lien de parenté.
  • Assiez-ve don, Assi-te don = asseyez-vous, assieds-toi Ct’i la, y a pas moyen d’en joui = celui-là on ne peut pas le faire obéir
  • Marci, ben’honnête = pour remercier quand on vous sert à boire par exemple

Certains mots sont restés dans le langage courant souvent en rapport avec les activités agricoles : 

  • Cassette, bail, cuette, cuetton, devise, canette = robinet de barrique, fillette
  • Dalle = gouttière 
  • Bouésselée (à Ceaux 5 ares 28) 
  • Le bal des bouésselées = bal au cours duquel des parents arrangeaient un mariage qui permettait d’agrandir un domaine
  • Boulite = petite ouverture dans un mur, lucarne

Boulitte

chez Mme Ritoux à La Gouinière Ceaux-en-Loudun

Photo Jean-François Raymond et dessin Marie-Hélène Coupaye

Sur la photo : Vue de l’extérieur à l’heure actuelle. 

Le dessin restitue les pierres cassées par M Ritoux ce qui lui permettait une plus grande vue sur le chemin de terre menant à sa nouvelle entrée dans sa cour.

A l’origine, la boulite se réduisait à une simple fente permettant d’apercevoir qui arrivait sur le chemin venant de la grand route sans, bien sûr, être vu d’arrivants éventuels.

On pouvait passer sur le chemin sans remarquer cette boulite qui ressemblait à un joint le long d’un quartier.

De l’intérieur la fente est à la bonne hauteur pour pouvoir « bouliter » !

Mais aussi des expressions d’apparence française utilisées encore aujourd’hui :

  • Abat d’eau = grosse averse
  • Ça me fait tort = ça me gêne
  • Avoir vu dire = avoir entendu dire
  • Avoir grand chaud, froid, mal, honte = avoir très chaud…
  • Arranger la soupe = préparer la soupe
  • Par le fait (prononcer faite !), de fait, comme de fait
  • Comme de coutume, avoir coutume

Mais ce qui est le plus frappant c’est l’utilisation du je pour je et nous.

  • « J’avons fait les métives pu tôt » = nous avons fait…

Le poitevin fait la même chose, mais utilise i pour je et nous. Par contre je n’ai jamais noté l’emploi du O, Ol qui est la marque distinctive du poitevin-saintongeais. C’est en cela surtout que le langage de Ceaux se distingue du poitevin.

Ici on dit : c’est ben ça ou c’est-y ben ça et jamais ol est ben ça comme à Moncontour par exemple (au sud de Loudun).

Atlas linguistique de la France par région (détail)

Les limites du département de la Vienne et des départements limitrophes sont dessinées avec des petits points rouges.

Les villages qui nous concernent, N° 8 pour Beuxes et N° 33 pour Guesnes sont écrits en rouge et entourés de jaune. Ceaux se trouve grosso modo entre les deux.

Les réponses des témoins sont portées sur la carte, à côté de chaque numéro représentant un lieu.

Les mots sont écrits en orthographe phonétique. On peut alors déterminer des zones où l’on retrouve une même façon de dire : ici le mot cassette à vendanger.

On peut voir que le mot cassette (kasét) est utilisé dans la zone à pois noirs mais, autour du N° 33, plusieurs mots sont utilisés, ce qui détermine une zone où les lignes verticale (baké) et en diagonale (syo) se chevauchent.

Extrait d’un exposé fait en 2005 à l’Université de Poitiers par Marie-Hélène Coupaye

On pourrait multiplier à l’infini les ressemblances et les différences sans parvenir à clarifier une appartenance à une de ces langues anciennes. Il n’existe pas de frontières nettes d’une région à l’autre. On en a la démonstration dans l’Atlas Linguistique de la France par Région. En ce qui concerne notre région, les recherches ont été menées par Geneviève Massignon (1921-1966) à la demande du CNRS, après la Seconde Guerre mondiale. On remarque très vite que certains mots utilisés en Touraine le sont aussi chez nous à l’inverse des mots poitevins sont utilisés beaucoup plus au nord. On peut alors déterminer des zones d’influence et remarquer que certains sont utilisés dans de très petites zones. Il existe aujourd’hui un Atlas sonore des langues régionales de France. Si vous le cherchez sur Internet vous verrez une carte de France où Ceaux est noté : c’est parce que j’ai participé à cette collecte, cependant j’ai utilisé la langue de ma mère née à Saint-Clair pour traduire le texte proposé mais la personne qui a fait l’enquête a noté le nom de mon lieu de résidence. Vous voyez là encore la démonstration de différences pour des lieux distants d’une vingtaine de kilomètres.

Disons que le langage du Loudunais comme celui de Ceaux est un mélange de ces trois influences ce qui en fait son originalité. Il faut dire aussi que ces langues pour les trois quarts orales ne sont pas fixées ni surtout standardisées comme le français et chaque village aime bien penser qu’on parle différemment de ses voisins et chacun cultive ses différences !

Souvent les différences ne sont que des variantes de prononciation ou des mots techniques suivant les activités principales du village (céréalières, vinicoles…)

Bien qu’en majorité la langue soit orale, des textes anciens ont été retrouvés par des chercheurs en Poitou mais aussi en Anjou, en Touraine. Je connais surtout ceux en langue poitevine mais je sais que des recherches ont été faites dans les régions voisines.

Dans la région ligérienne, c’est Jacques-Marie Rougé (1873-1956) dont les écrits sont nombreux sur ce patrimoine immatériel de sa région. Il a créé, entre autres, le musée du terroir à Loches en 1925. J’ai lu aussi les textes en angevin de Marc Leclerc (1874-1946) qui ont été réédités en 1974 pour célébrer le centenaire de sa naissance.

Il a écrit en 1932 la légende de saint Fort dont Ceaux possédait une relique ce qui y occasionnait des pèlerinages forts prisés. Rédigée en angevin cette légende est particulièrement savoureuse.

Page de titre et illustration du livre de Marc Leclerc écrit en langue angevine

Achevé d’imprimé en 1933 par les Éditions de l’Ouest

La légende de saint Fort y est relatée d’une manière très pittoresque et explique la formation des boules de Fort à la forme bien spécifique. Ce jeu est pratiqué dans la région ligérienne encore aujourd’hui. Il l’était encore à Loudun il y a quelques années.

Je connais mieux les textes poitevins pour les avoir étudiés. Écrits dès le XVI° siècle, ils attestent de l’existence de cette langue.

À Loudun, nous avons Les amours de Colas : 

Cette pièce écrite en vers a été traduite en français par l’atelier de Parlanjhe de la faculté de Poitiers avec l’aide de Mme Jagueneau. La médiathèque de Loudun en possède un exemplaire. 

Cette langue est aussi utilisée dans bon nombre de chants traditionnels de Noël.

Croyances

En temps « qu’enquêtrice » débutante et sans doute maladroite, je me suis heurtée à la réserve des habitants dès que j’ai posé des questions. Je m’en suis alors remise au hasard de mes contacts et cela m’a permis d’observer, et par là même recueillir, des choses fort intéressantes.

Souvent reniées à haute voix, ces croyances sont exprimées par hasard dans la conversation sans que l’on n’ait rien demandé. Ces pépites révèlent toute une civilisation orale abondante et riche qui, si elle n’est pas particulière à Ceaux, a été entendue et recueillie à Ceaux ou relatée par des personnes y ayant demeuré (pour utiliser le mot habituel ici à la place d’habiter).

Relatés d’une manière impromptue, ces récits sont faits souvent dans un groupe.

L’abattage d’un arbre

(Ici un groupe d’hommes relativement jeunes qui se racontent cet événement)

Il était question d’un vieil arbre de grande taille et celui qui raconte le fait comme s’il s’agissait d’un combat. Il situe le lieu avec précision et quand tout le monde a bien compris de quel arbre il s’agissait, le récit commence. Le cercle des auditeurs est suspendu aux lèvres du conteur et participe même à ses efforts par des réflexions voire des exclamations.

Il expliquait en détail comment il s’y prenait, ses efforts quelquefois vains, puis couronnés de succès. L’émotion s’emparait des auditeurs et était à son comble quand l’arbre se couchait, enfin, la dernière racine coupée : quel soulagement, la nature était finalement domptée et l’homme était victorieux ! On pouvait sentir le contentement de l’assistance qui se sentait soulagée par cette victoire et ragaillardie.

À propos d’abattage M. Pierre B. :

  • Un bois abattu à la balise = abattu suivant la surface
  • Un bois abattu enstéré = abattu au volume de bois, en stères
  • La bûche doit être grosse comme une chopine
  • Triquette = petite bûche de moins d’un mètre

Les souterrains et les caves

(Ici aussi les événements sont souvent racontés par un groupe d’hommes relativement jeunes)

Les caves sont nombreuses, qu’elles aient été creusées ou naturelles.

Les « accidents » assez courants d’un engin agricole lourd dont une roue s’enfonce brutalement dans une cave sont légion. Là aussi la solidarité est l’occasion de récits épiques pour tirer le collègue de l’embarras. La même cohésion du groupe qui lutte contre cette adversité se ressent dans le récit jusqu’à la « victoire » finale.

Il en est de moins spectaculaires quand une femme va dans son jardin couper une salade et se retrouve brusquement enterrée jusqu’à la taille. Son mari, heureusement accouru à ses cris, la tire de ce mauvais pas (Arrivé à Mme M. de Ceaux).

Concernant les souterrains, un grand nombre de croyances circulent. Ils relieraient tous les châteaux, places fortes, églises fortifiées alentour. Chacun y va de ses détails, les décrivant comme s’ils les avaient empruntés alors qu’ils parlent par ouï-dire. Leurs descriptions en sont faites avec précision. Certains assurent qu’il en est dont la voûte est maçonnée et sont si hauts qu’un homme à cheval peut y galoper aisément, ici ou là des sortes de niches permettraient aux piétons de se garer pour laisser passer le cheval au galop. Si on demande des précisions : les entrées se sont éboulées, on ne peut plus y pénétrer… On m’a dit que…si, si… c’est vrai, c’est untel qui me l’a dit…

Allez-donc savoir !?

Les serpents

Les serpents, souvent associés aux dragons ou aux animaux diaboliques, sont l’objet de nombreuses discussions. Mais celui dont on parle le plus, c’est le fouéte en réalité couleuvre d’Europe. Il sort toujours les jours de grande chaleur pour boire dans les fontaines c’est alors qu’on le voit. Sa longueur déjà respectable est souvent exagérée et celui qui en parle, là aussi, ne l’a pratiquement jamais vu personnellement, c’est toujours quelqu’un qui… 

Cela m’a donné l’idée d’en faire un petit conte. Un ancien de la commune, M. Barreau, qui venait d’entendre mon histoire me demanda : 

-« Vous savez pourquoi un fouéte s’appelle un fouéte ?

Non, je ne savais pas, alors il ajoute : – «  Les serpents, ça a des pattes. » 

Alors là je suis complètement ébahie : – « Des pattes ? » 

Il me rétorque : -« Ben oui, parce que les serpents ça grimpent aux arbres. Le fouéte ça s’enroule autour d’une branche et laisse pendre sa queue qui fouette l’air. Alors on l’appelle le fouéte. »

Je reste sans voix, comment ils font pour grimper : dans ma tête j’imagine un serpent grimpant comme… un singe ! Pas possible ! Je retrouve un peu la parole et timidement je dis : 

-« Je n’ai jamais vu leurs pattes aux serpents ! »

Il reprend : -« Bien sûr, parce que les serpents, ils sortent leurs pattes que quand ils en ont besoin. » 

Et vlan ! Là alors, je suis estomaquée, je n’en reviens pas et il me quitte en pensant sans doute : « Encore une qui croit tout savoir et qui ne sait pas grand-chose ! »

Eh, oui, j’ignorais alors que cette croyance aux serpents pourvus de pattes était répandue dans tout le Poitou-Charentes y compris à Ceaux.

Les sorcières (tourbillons de vent)

J’ai assisté plusieurs fois à ce phénomène qui s’apparente à une petite échelle aux tornades. 

Adolescente je venais avec mes parents cueillir les cerises à la Gouinière. Nous étions perchés sur un énorme cerisier, mon frère et moi, quand nous sommes alertés par mon père qui nous demande de descendre rapidement. À ce moment nous prenons conscience d’un drôle de ronflement et avant d’être descendus nous sommes ébouriffés, giflés par le bout des petites branches, ballotés par un souffle puissant qui s’arrête aussitôt qu’il est arrivé. Heureusement nous avions pu nous accrocher au tronc du cerisier mais une fois descendus, encore choqués, nous le sommes encore plus quand notre père nous dit que c’était une sorcière.

Imaginez notre étonnement !

Une autre fois c’est dans ma cour.

Un ronflement insolite m’attire sur le pas de la porte de ma cuisine et là je vois une sorcière balayer la cour et secouer un grand sapin avant de s’évanouir du côté du jardin. Je n’ai pas rêvé : la sorcière nous a laissé de nombreux brins de paille qu’elle avait ramassés dans la plaine et qui resteront accrochés à toutes les branches de notre sapin pendant plusieurs semaines.

Je ne compte pas le nombre de fois où des brins de paille se retrouvaient sur la ligne à moyenne tension qui traversait les terres en face de notre hameau, témoignant du passage d’une sorcière.

Croyances féminines

Les croyances féminines sont généralement beaucoup plus secrètes, surtout si on aborde le chapitre des guérisseurs, les remèdes, l’hygiène… Je suis persuadée que les exemples pourraient être nombreux mais personnellement ce sujet n’a jamais été abordé devant moi, du moins à Ceaux, c’est pourquoi je n’en parlerai pas ici.

Remèdes de famille

J’ai noté quelques conseils de M. Pierre B.

Pour faire disparaitre les verrues deux solutions :

1) Couper un oignon en deux. On frotte la verrue avec. Les moitiés d’oignon doivent être mises à pourrir dans le tas de fumier. Quand les oignons sont pourris, les verrues s’en vont.

2) Prendre des cheveux sur le milieu de la tête (fontanelle), les envelopper dans un papier à cigarette. Inciser l’écorce d’un tronc d’arbre. Glisser le papier dedans, la nuit, sans être vu. Quand les cheveux sont « mangés » la verrue disparaît 

 Pour éloigner les serpents on doit dire :

Je marcherai sur l’aspic et le basilic

Et je foulerai au pied le lion et le dragon.

J’ai enquêté à la maison de retraite de Loudun et avec l’association « Coutumes, contes et légendes en Pays Loudunais », j’ai recueilli de nombreux témoignages, mais pas à Ceaux, que nous avons édités dans un recueil intitulé « Nos drôles de la naissance à l’école ».

Coutumes et façons de vivre

Propos de femme

Par contre, les groupes de femmes ont aussi leur sujet de prédilection en dehors de quelques conseils culinaires ou recettes de « crêpes dures » à la Chandeleur par exemple, elles parlent de leurs conditions de vie très facilement, dès qu’elles se retrouvent entre elles.

La vie des femmes entre aujourd’hui et le temps de ma grand-mère qui se marie en 1900, a évolué à grande vitesse. Entre ma grand-mère qui ne mangeait pas à table mais au coin de la cheminée tout en surveillant le feu et servant les hommes et les jeunes femmes d’aujourd’hui qui travaillent à l’extérieur, conduisent leur voiture… la marge est grande. Cependant le manque de considération plus ou moins marqué pour le travail féminin, bien que ne s’exprimant pas de la même façon, est toujours sous-jacent et pas que dans les villages ! Il faut dire que le travail de la maison est répétitif et éphémère puisque toujours à recommencer (cuisine, ménage, vaisselle, lessive…) et ses traces disparaissent aussitôt que réalisé, alors…

Donc le grand sujet c’est souvent le peu de considération des hommes pour leur travail dont se plaignent les femmes. Quand ils rentrent par exemple avec leurs bottes patées (= boueuses) dans la cuisine fraîchement cincée (= nettoyée avec la serpillère = cince) et encore humide sans avoir même l’idée de se déchausser… 

Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet qui peut paraître mesquin mais reflète bien cet état d’esprit général.

L’éducation des enfants est aussi une de leur plus grande préoccupation et là aussi elles se plaignent en général du manque de participation des hommes, ceux-ci n’intervenant que quand ça va vraiment mal.

Le mariage

Il est la grande affaire de la vie des femmes. Je devrais dire, était, car aujourd’hui, même à la campagne, les couples ne passent pas forcément devant monsieur le maire.

Autrefois, il revêtait une grande importance car c’était la seule manière pour une femme d’assurer sa subsistance. Rester vieille fille était plus ou moins dégradant. Comme on disait : Tout fagot doit trouver sa riorte (riorte = lien). Le choix du prétendant, les rencontres, tout cela était suivi de près par les mères. La sortie de la messe était une occasion de regards de connivence, de sourires qui se concrétisaient lors des bals de village si le prétendant plaisait à la famille. 

Du temps de mon père, Ceaux était la seule commune où il y avait une salle des fêtes. Là avait lieu le bal des familles en robes longues et costumes pour les hommes. C’était une soirée recherchée dans la région où les parents permettaient aux filles de rencontrer des garçons sous l’œil vigilant des mamans. L’affaire entendue, le prétendant agréé, il y avait la longue période des fiançailles. Les préparatifs du mariage, la robe de la mariée souvent réalisée par la couturière locale et tout le cérémonial du jour tant attendu de la noce était un sujet de discussion entre les jeunes filles. 

Le jour du mariage ce n’était pas une petite affaire dans les années cinquante. Je me souviens avoir assisté au mariage d’une de mes cousines à Ceaux. Bien sûr j’étais trop jeune pour me préoccuper du trousseau, de la formation du cortège, trop intimidée aussi car je ne connaissais personne.

De la mairie on allait à l’église. Je ne me souviens pas de la cérémonie en elle-même. Sur la place le cortège se formait. Des enfants tenaient le voile de la mariée, bien sûr ensuite le garçon et la fille d’honneur, puis venait la parenté par ordre de préséance décidé par les parents, chaque jeune fille devait avoir son cavalier. Le marié fermait la marche au bras de sa mère. 

Au cours des messes auxquelles j’ai assisté à Ceaux, les hommes allaient dans la travée de droite, les femmes allaient au milieu dans la nef mais derrière les places de la famille de Mondion. Places qui avaient un banc recouvert de velours rouge et qui étaient entourées d’une petite barrière de bois fermée par une porte. Les enfants du catéchisme s’asseyaient en avant de ces bancs réservés. Est-ce que le cortège se disloquait dans l’église pour se reformer ensuite ? Je ne saurais le dire. 

Une fois le cortège reformé, sous le soleil de l’été on a pris le chemin de la ferme de Bellevue distante d’au moins 2 km. Devant certaines maisons il y avait des petites tables avec des verres et une bouteille de liqueur. Votre cavalier buvait son petit verre, je suppose qu’étant trop jeune je n’y eus pas droit. On m’expliqua que ces tables étaient dressées devant des maisons amies. Ce cérémonial se répéta au moins trois ou quatre fois avant d’arriver au portail de la ferme décoré de chaque côté avec des sapins garnis de fleurs en papier de toutes les couleurs. Là, une salve de coups de carabine salua les mariés. Le cortège se disloqua légèrement pour voir la mariée qui coupait le ruban qui fermait le passage. Enfin chacun put rentrer dans la cour de la ferme et s’égailla à droite à gauche. Je remarquais le parquet (prononcé parquéte bien sûr, sorte de tivoli de bois) sous lequel le couvert était dressé. Oui, parce qu’on allait sous le parquet, on dansait sous le parquet

Je pensais naïvement que le moment de manger était venu mais surtout de boire vu la chaleur. Erreur ! Il y avait encore la photo. C’est alors que je remarquai des gradins sur lesquels on nous invita à grimper en respectant là aussi l’ordre de préséance de chacun. Je me souviens de ma peur car étant jeune et cousine éloignée j’avais dû grimper sur le dernier degré des gradins. Chaque fois que l’on faisait déplacer une personne pour permettre à chacun de trouver sa place, je sentais trembler les planches sur lesquelles j’étais juchée. Enfin après bien des placements et des déplacements la photo fut prise. On allait peut être pouvoir boire mais non il fallut attendre là aussi que le cérémonial du placement à table soit terminé, cérémonial qui, bien que préparé de longue date, était bouleversé ici ou là en fonction des envies des uns ou des autres.

Alors commença le déroulement du repas. Je n’en ai pas un grand souvenir sinon qu’il y avait un nombre qui me parut incalculable de plats et qu’on mangea tout l’après-midi. La majorité des mets provenaient de la ferme : charcuteries, volailles, légumes… et étaient cuisinés sur place. La solidarité féminine jouait un grand rôle dans cette organisation et ce travail qui commençait plusieurs jours avant le mariage. L’abattage des animaux, la préparation des charcuteries, …  Les restes ou les bas morceaux étaient gardés pour les lendemains de noces quand des invités, habitants loin, couchaient sur place.

Bien sûr certains repas plus « chics » se faisaient au restaurant à Loudun et là aussi les plats étaient nombreux

MENU D’UN MARIAGE en 1936

Chez M Aulagnier à l’Hôtel de France, à Loudun

  • On peut remarquer la variété des entrées toujours accompagnées de beurre, ici en papillote.
  • Bien sûr poisson, ici langouste
  • Viande rouge, viande blanche
  • Légumes, salade mais pas de fromage
  • Plusieurs desserts
  • Et pour terminer friandises, fruits
  • Puis café et liqueurs

On retrouve ce type de menu dans tout le Poitou du début du XIX° siècle.

Ce qui nous frappe c’est le beurre avec les entrées toujours indiqué comme un plat et l’absence de fromage, sans doute réservé aux repas ordinaires.

En fin de soirée j’eus la surprise de voir une partie des invités disparaître. On m’expliqua qu’ils allaient « soigner » leurs bêtes. La petite citadine que j’étais alors était encore une fois bien étonnée.

Des groupes s’étaient formés par affinité et discutaient. Moi bien sûr je me sentais un peu étrangère, alors je me réfugiais auprès de mes parents en attendant le repas du soir et le bal.

Il y avait sans doute la soupe à l’oignon offerte aux jeunes mariés quand on les avait retrouvés. Mais là aussi j’étais trop jeune pour assister à tout cela.

Lendemains de noces

Ces jeunes femmes fraîchement mariées encore émues par la fête dont elles avaient été la reine, arrivaient dans la maison de leur mari avec plein de bonne volonté et devaient très vite déchanter face à la belle-mère qui n’entendait pas abandonner le « gouvernement » de sa maison, souvent seul privilège des femmes.

Ce qui m’a le plus frappée c’est la discussion de trois femmes (à peine plus âgées que moi qui suis née en 1944) racontant leur vie de jeune mariée arrivant à la ferme maritale. Les heurts avec la belle-mère qui voulait maintenir ses habitudes (et sans doute aussi sa suprématie) face à une jeune femme qui avait d’autres manières de faire auxquelles elle tenait puisqu’elles lui venaient de sa mère. Ça allait de la finesse des pelures de pommes de terre, à la cuisson des aliments, la façon de laver ou plier le linge… et ça s’envenimait avec l’arrivée des enfants. La grand-mère accusant la mère de mal les élever, ou de ne pas savoir s’y prendre…

Les hommes absents, toute la journée dans les champs, n’assistant pas aux conflits, ne comprenaient souvent rien au mal-être de leur jeune femme et prenaient inconsciemment le parti de leur mère. La maison avait toujours marché comme ça, pas de raison que cela change ! Ils ne voyaient pas où était le problème.

Je pense que ces difficultés dues à la cohabitation ont en général disparu. Aujourd’hui bon nombre de femmes ont un métier en dehors de l’exploitation agricole et les anciens vont pour la plupart en maison de retraite. Mais le travail de la maison reste quand même l’apanage des femmes et le manque de considération, plus discret sans doute, est toujours là. 

Au cours d’une discussion, une jeune femme à qui je faisais remarquer naïvement que les femmes d’aujourd’hui pouvaient conduire le tracteur… m’a dit que si une guerre se produisait beaucoup d’épouses ne pourraient pas prendre l’exploitation en main comme pendant la guerre 1914-1918 par exemple parce que l’utilisation des produits chimiques comme les engrais, les désherbants…, demande des connaissances très précises qu’elles n’ont pas forcément.

Cependant là aussi les choses évoluent et on commence à voir des femmes sur les tracteurs et même chef d’exploitation.

Les contes et légendes

L’observateur friand d’histoires, contes, légendes, est souvent frustré dans sa quête car ils sont jugés peu intéressants, voire même des histoires de personnes un peu dérangées. Les habitants ont tendance à penser que tout ça ce sont des restes d’obscurantisme de temps révolus. On aurait dit qu’ils étaient honteux de connaître ces récits qui n’ont pas pignon sur rue ! Il m’a fallu l’aide de mes amies de l’association « Coutumes, contes et légendes en Pays Loudunais » pour découvrir un patrimoine d’une richesse incroyable. Cependant je n’ai rien découvert qui serait rattaché à Ceaux, mais cette recherche lancée m’a permis de défiler l’écheveau de mes propres souvenirs.

Quand nous habitions Saint-Maixent, nous ne venions à la Gouinière qu’à la Toussaint et aux Rameaux. J’avais alors moins de 10 ans. Dans cette maison inhabitée le reste de l’année, la cuisinière que ma mère garnissait régulièrement de bois avait bien du mal à combattre le froid et l’humidité. Aussi à la veillée on se blottissait le plus près possible du foyer. C’est alors que mon père parlait de son enfance et, comme c’était un conteur né, nous les enfants, on l’écoutait religieusement. Se mêlant à ses souvenirs, il racontait des contes mais sans jamais dire « Il était une fois » aussi je les prenais pour des anecdotes vraies. J’ai été très surprise plus tard de retrouver certaines histoires dans des livres de contes traditionnels.

Les animaux qui parlent la nuit de Noël

À l’école, un copain lui aurait raconté que les animaux de l’étable étaient nourris spécialement la nuit de Noël et qu’à minuit ils parlaient entre eux. On ne devait surtout pas les écouter sinon il vous arrivait malheur. Ce copain donnait le nom d’un homme, un mécréant c’est certain, qui avait bravé cette interdiction et qui avait entendu les animaux dire :

J’allons entarré nout maitre c’te semaine.

L’homme, bouleversé, était rentré chez lui sans rien dire mais il était mort dans la semaine.

Disparition de femme avec son attelage

De la même façon mon père racontait qu’une femme inconnue, seule, la nuit roulait avec son attelage vers on ne savait quelle destination sur un petit chemin de terre. Il décrivait la nuit, le bruit des roues sur les pierres du chemin et cette femme emmitouflée, cachée dans une grande cape. On croyait entendre cette voiture et les sabots du cheval claquant dans la nuit. Qui était-elle ? Où allait-elle ? Devait-elle rencontrer quelqu’un ? C’était mystérieux, voire inquiétant, louche sans doute. Tout ce qu’on savait c’est que près d’un trou d’eau, elle avait disparu à jamais avec son attelage sans que le mystère ne soit jamais élucidé.

Ce thème de conte existe dans les régions humides, marécageuses. Cette histoire m’a été racontée il y a quelques années par M. G. qui, lui, situait le lieu de la disparition aux Vieilles Fontaines, commune de Pouant.

Bûche la nuit de Noël

Il existe une coutume qui veut qu’on brûle une bûche la nuit de Noël et que le feu ne doit surtout pas s’éteindre sinon des esprits malins pouvaient s’introduire par la cheminée et Dieu seul savait quelles calamités pouvaient s’en suivre. Cette histoire je ne l’ai pas entendue ou je l’ai oubliée, elle m’a été rapportée par mon frère aîné qui l’avait entendue de mon père.

C’est le premier Noël après la guerre de 1914-1918, mon père encore jeune (il est né en 1911) surprend une discussion entre ses parents. Les anciens ayant disparus, il n’y a plus personne pour s’occuper du feu si on s’absente et la famille doit aller faire la veillée de Noël à la ferme du grand-père Chéret, à Bourgueil, à quelque 500 mètres de là. La mère est très inquiète à l’idée de laisser le foyer éteint avec les conséquences que l’on connaît et le père qui revient de la guerre, ce qui a bouleversé ses croyances et qui en a vu d’autres, insiste en disant qu’il n’arrivera rien, que tout ça ce sont des bêtises sans importance.

Bref, ce soir là il n’y eut pas de feu dans la cheminée à la Gouinière et rien de grave n’arriva ; et voilà comment cette tradition familiale disparut.

Le père La Ramée

La dernière histoire dont j’ai des souvenirs partiels concerne le père La Ramée.

Cette histoire s’apparente à celle de Jack et du haricot magique puisque notre père La Ramée escalade sa fève pour aller jusqu’au ciel. Moi je n’avais pas souvenir de cette histoire de fève mais seulement d’une rencontre avec un personnage pourvu de pouvoirs extraordinaires pour le moins. Bref, on lui donne une nappe magique qui dès qu’on lui dit : « Nappe, étends-toi » se couvre de toutes sortes de mets. Naïvement le père La Ramée est allé à la foire et à l’auberge ; il se fait voler sa nappe. De la même façon, on lui donne un âne qui crotte de l’or. Il retourne à la foire dans la même auberge, il confie son âne à l’aubergiste qui le vole à nouveau. Il remonte pour la 3° fois en haut de sa fève et on lui donne un bâton qui bâtonne dès qu’on lui dit : « Joue mon bâton ». Le père La Ramée retourne à l’auberge, confie son bâton à l’aubergiste qui reçoit une telle rossée qu’on est obligé d’aller chercher le père La Ramée pour qu’il arrête son bâton. Il récupère aussi la nappe et l’âne magique et tout est bien qui finit bien.

Jeux de mots et devinettes

Toujours au cours de ces veillées, mon père nous amusait en disant très vite :

– Habit se coud-t-i ?

– Grain se moud-t-i ?

– Si l’Habit se coud, le grain se moud !

Il faut imaginer la rencontre du meunier qui rencontre son tailleur et qui s’inquiète de l’avancée de son costume.

Latte ôtée, trou s’y fit, rat s’y mit, et quelquefois il ajoutait : chat goba !

La devinette

De quelle couleur est le cheval blanc d’Henri IV ? qui nous attrapait souvent et celle plus difficile :

Vincent mit l’âne dans un pré et s’en vint dans l’autre.

Combien y a-t-il d’ânes en tout ?

Contes de menteries

Encore une fois, ce sont les hommes qui les racontent ces contes très brefs qui doivent amener le public à rire. Il faut savoir ménager le suspense jusqu’à la fin qui doit surprendre. Ces contes ne sont pas une spécialité de notre région ni de notre village mais ils sont dits spontanément lors de rencontres souvent un peu arrosées.

Un soir de fête à l’étang, je ne sais plus pourquoi nous nous sommes retrouvés une dizaine de personnes chez M. Chevalier. Une bouteille ou deux débouchées, tout le monde étant content : le temps avait été idéal, tout avait marché comme sur des roulettes et ça a démarré ! 

Pourquoi, comment ? Je ne sais pas mais les histoires se sont enchainées, chacun ayant quelque chose à dire !  Bien sûr je n’avais pas de magnéto, même pas de papier ni de crayon, j’ai quand même retenu quelques-unes de ces histoires :

Le gars qui plante des haricots. Son rang est si long, si long que lorsqu’il a fini, au début du rang les haricots sont déjà bons à ramasser !

Les citrouilles si grosses qu’elles ne tiennent pas dans une charrette. Il faut alors les mettre sur la tranche et plusieurs hommes pour les faire rouler jusqu’à la ferme !

Deux hommes discutent et se vantent bien sûr. Le premier dit :

– « J’ai pêché un brochet, tu le croiras jamais il faisait, oh oui, au moins 1.50 m.

– Moi, dit l’autre, tu sais la grange au père G., tu sais bien celle qui est complètement « fondue » (= effondrée). Je suis allé fouiner sous les ronces et les orties et devine ce que j’ai trouvé ?

– ?

– une moto de la guerre 14… avec le phare allumé !

– oh, alors là ! Tu abuses, c’est pas possible !

– Bon, bon ! Si tu raccourcis ton brochet de 50 cm, j’éteins le phare de ma moto !

Une autre que je ne suis pas sûre de d’avoir entendue ce soir là :

Un homme rentre en vélo de sa journée de travail dans sa vigne. Une voiture le dépasse si vite que l’homme effrayé « vire » dans le fossé. L’automobiliste qui s’est aperçu de cette chute s’arrête, se précipite au secours de l’homme. Celui-ci hébété, moitié assommé par le choc ne répond pas au conducteur qui pose toujours la même question :

-« Vous souffrez ? … Vous souffrez ?

Revenant enfin à lui l’homme répond : « Non ! Je ne souffre pas, je sulfate ! »

Les surnoms

Une habitude à laquelle Ceaux n’échappe pas. Généralement ces surnoms sont inventés sur le mode de la plaisanterie, quelquefois amicale mais souvent aussi plus sarcastique. Ils 

peuvent être la déformation du nom de famille ou du prénom pour différencier un père de son fils qui portent le même nom. Cela peut aussi mettre en relief soit un défaut physique de la personne, soit son apparence ou une critique de comportement. Certains de ces surnoms devenaient d’un usage si courant qu’on en oubliait le véritable nom de cette personne. 

Quelques uns des sobriquets relevés à Ceaux :

  • Le corbassou = le curé
  • Le ministe= un homme en costume-cravate
  • Le père Xeune : il émaillait sa conversation de ce bruit
  • Biscanu = petit drôle
  • Coq rouge
  • Billette
  • Mur d’argent
  • Bec-à-vin
  • Pied de baco
  • Guenille-à-bonde
  • Fibrome de comptoir

Il est à noter que cette habitude a toujours court chez les plus jeunes. J’en veux pour preuve tous les copains de mon fils, surnommé Bif, qui avaient tous un surnom ce qui, pour nous les parents, avait l’inconvénient de ne pas toujours savoir de qui on parlait !

Les jeux des enfants

Autrefois les jouets étaient souvent fabriqués à la ferme par le pépé pour occuper les drôles mais aussi par les enfants eux-mêmes avec ce qu’ils trouvaient : coquilles de noix, coquilles d’escargot, morceaux de bois gossés (= taillés) avec l’indispensable couteau que les garçons surtout, avaient toujours dans leur poche. L’outil de prédilection des garçons c’était le tire-chail (= lance-pierre), qui leur permettait de s’exercer au tir.

 

La toupie appelée moine

Photos Marie-Hélène Coupaye

Elle appartenait à Maurice Raymond né à Ceaux en 1911.

On aperçoit bien la tâche, gros clou pour ferrer les souliers, sur lequel la toupie tournait. Je ne sais pas comment la ficelle était fixée autour de la toupie mais le jeu consistait à faire tourner la toupie le plus longtemps possible.

Les seuls jeux dont mon père m’a parlé, c’est l’usage d’une toupie en bois fabriquée par son grand-père. La pointe de la toupie était renforcée avec une « tâche » gros clou à tête carrée. On entourait la toupie avec une ficelle et on lançait l’engin en retenant le bout de la ficelle. Il fallait que la toupie continue à tourner le plus longtemps possible.

Il m’a aussi parlé du jeu de l’ours qui avait été interdit par son maître parce que trop dangereux. Si je me souviens bien, il s’agissait de se bousculer en étant juché sur le dos d’un copain. Evidemment les chutes devaient être fréquentes et sanguinolentes. 

Les filles se faisaient des poupées avec des fleurs de coquelicot, des épis de maïs, des couronnes de coucous, des ceintures de feuilles…

Là non plus, je n’ai pas fait d’investigations à Ceaux particulièrement : cependant je suis sûre que les jeux de billes étaient acharnés, les filles y participaient aussi quelquefois.

Elles avaient bien sûr des rondes comme partout et dans la petite école, aujourd’hui occupée par l’association de tir, il n’était pas question de partie de foot comme aujourd’hui.

Il y avait alors (du temps de mon père né en 1911) deux classes, une pour les filles et une pour les garçons. Les instituteurs d’alors étaient un couple M. et Mme Vézien qui ont fait une grande partie de leur carrière à Ceaux. 

Marie-Hélène Coupaye, 8 juillet 2021

Pour aller plus loin :

– Pour se renseigner sur la langue:

Liliane Jagueneau, Le parlanjhe de Poitou-Charentes-Vendée en trente questions, Geste Editions, 1999

Michel Gautier, Grammaire du Poitevin-Saintongeais, Geste Editions, 1993

Vianney Piveteau, Dictionnaire  Français> Poitevin-saintongeais / Poetevin – Séntunjhaes>Françaes, Geste Éditions, 2006.

– Pour retrouver les textes poitevins :

J. Pignon, Recueil de textes en patois poitevin du XIVe siècle, Geste Éditions, 2003

Pierre Gauthier, Rolea, Recueil de textes anonymes poitevins du XVIIe siècle, édition bilingue français-poitevin, Geste Éditions, 2002 

Attribué à M. Montault sous le pseudonyme de Saint-Long, Les amours de Colas, comédie loudunaise en beau langage poitevin du XVIIe siècle, Favre, 2018.

– Pour les ouvrages de contes : 

Pour les serpents et les sorcières : Marie-Hélène Coupaye, Contes et légendes entre Anjou et Poitou, Geste Éditions, 2003 .

Pour le père La Ramée : Marie-Hélène Coupaye, Mes contes en pays loudunais, Geste Éditions, 2014. Ce conte a ensuite été retrouvé dans Léon Pineau, Les contes populaires du Poitou, Ernest Leroux, 1891, réed. Brissaud, Poitiers, 1989.

– Pour les remèdes traditionnels :

Madame Renée Fournier, institutrice à Berrie pendant de longues années et adhérente de la Société Folklorique du Centre Ouest (SFCO) a écrit un livre intitulé « La médecine ancienne dans le Centre Ouest » en 1971. C’est une mine de renseignements et certaines pratiques étaient utilisées à Ceaux sans aucun doute.