CEAUX

CEAUX

L’histoire de Ceaux commence bien avant l’Histoire. Elle nous est racontée par le sol, par les outils de pierre, silex taillés ou haches polies du néolithique, découverts autour d’Artigny ou de la fontaine des Chamaillards. Partout sur la commune, les vestiges d’une lointaine présence humaine est révélée par les photos aériennes : enceintes entourées de fossés, trous de poteaux ou fosses d’habitats, voire bâtiments maçonnés pouvant dater de la Protohistoire ou de l’époque romaine.

Quand on entre dans l’époque historique, avec l’apparition des premiers documents écrits, Ceaux, résultat de la fusion de deux paroisses devenues communes à la Révolution, commence une double histoire : la sienne et celle de Joué avec laquelle elle fusionne le 24 novembre 1819.

1. La commune aujourd’hui

D’après carte IGN 1724 E, 2005, 1/25 000 et observations sur le terrain

Superficie : 2889 ha

Population : 549 hab. en 2018 (les Ceauxois ou Ceaussois)

À l’origine de la commune

Ceaux

Centre paroissial puis communal, le bourg s’est développé autour du prieuré-cure de Notre-Dame de Ceaux, dépendant de l’abbaye de la Trinité de Mauléon (79).

La première mention écrite de ce prieuré, sous la forme Celcis (de celsus : cellule du moine) date de 1093, lorsqu’un seigneur de la région de Thouars, Isembard (ou Isembert) le jeune, sur le conseil de son oncle le moine Isembard le Vieux, lui fait don du marché et de toutes les dîmes du lieu, avec tout ce qu’il y possédait.

Dans le système féodal, un tel don nécessitait l’accord du suzerain direct d’Isembard, Geoffroy de Preuilly, et de leur suzerain commun, le comte d’Anjou. Le don d’un « valeureux » cheval facilita les choses.

2. La confirmation du don d’Isembard le Jeune par Geoffroy de Preuilly et le comte d’Anjou, Foulques IV le Réchin

Dom Fourier Bonnard, L’abbaye de la Sainte-Trinité de Mauléon (aujourd’hui Châtillon-sur-Sèvre) de l’ordre de Saint-Augustin, Ligugé (86), 1900, p. 1

Si la paroisse a toujours été intégrée dans le diocèse de Poitiers, elle échappe civilement au Loudunais, contrairement à sa voisine Joué, pour dessiner une enclave de la sénéchaussée de Saumur. C’est dans cette ville que les habitants de Ceaux envoient leurs représentants pour l’élection des députés aux États généraux en 1789, alors que ceux de Joué sont convoqués à Loudun.

3. Ceaux, une enclave saumuroise dans le bailliage de Loudun

Contrairement à Joué, mais aussi Basché, Assay, Grazay, Marçay et Frontenay, Ceaux n’appartient au bailliage de Loudun.

La date de la carte (1620), montre que cette situation est antérieure à la création du duché-paierie de Richelieu (1631).

Site gallica.bnf.fr › ark, carte du pais de Loudunois / Picquet incidit – 1620 (détail)

La Révolution fait basculer Ceaux dans le Loudunais et le département de la Vienne créé au printemps 1790. Le pouvoir civil se sépare nettement du religieux avec la création des communes, décidée en décembre 1789. Le tracé des limites de la nouvelle commune de Ceaux se fait parfois dans la douleur, avec Assay qui revendique les marais d’Artigny et Pouant où l’opération fait renaître un vieux conflit de territoire qui a longtemps opposé les chanoines de Saint-Hilaire-de-Poitiers, maîtres de Pouant, et le prieuré-cure de Ceaux.

Liens possibles :

pour le conflit avec Assay :  promenade n° 1, Autour de l’étang d’Arbonneau,  Entre Vienne et Indre-et-Loire, p. 31

Pour le conflit avec Pouant : promenade n° 4, À partir du bourg (1), Querelles de clocher entre Ceaux et Pouant, pp. 36/38

A la même époque, la commune devint le centre d’un canton provisoire (1790/1801) regroupant Joué, Pouant, Claunay, Nueil-sous-Faye et Crué.

Joué

Aujourd’hui simple village, Joué, dont le nom pourrait venir d’un propriétaire gallo-romain, Gaudius, c’est-à-dire le joyeux, a une origine très ancienne. Il est cité dès le 1er mars 904 lorsque la villa de Joué (« Gaudiacus villa ») est donnée à l’abbaye de Saint-Martin de Tours par Gautier et Giberge, sa femme.

La paroisse s’est développée autour de son château et de son église dédiée à saint Pierre, dont les seigneurs de Joué s’affirmaient les fondateurs. Jusqu’à la Révolution, deux familles se sont succédé dans le château aujourd’hui disparu. Membres d’une grande lignée de la noblesse chevaleresque loudunaise, les Sanglier, également seigneurs du Bois-Rogues (Rossay) et de La Bâtie (Mouterre-Silly), ont conservé la seigneurie de Joué jusqu’en 1695, avant de la vendre à François Poirier, issu de la grande bourgeoisie richelaise, puis loudunaise, au bord de l’anoblissement quand la Révolution éclate.

4. Le long de la route principale, le chevet de l’ancienne église de Joué

En arrière-plan, le bâtiment plus élevé.qui abritait la nef.

Liens possibles :

pour l’église et son environnement :  promenade n° 6, l’ancienne paroisse de Joué, pp. 10/14

Pour le château et les seigneurs de Joué : promenade n° 6, l’ancienne paroisse de Joué, pp. 17/22

Comme sa voisine Ceaux, Joué devient commune à la Révolution, petite commune qui a du mal à survivre et même à organiser un conseil municipal digne de ce nom. Officiellement décidée le 24 novembre 1819, la fusion avec Ceaux est préparée depuis octobre 1816,  lorsque le dernier maire de Joué, « Savoye », cède la place au maire de Ceaux comme « administrateur de la commune de Joué » dans des registres d’état-civil.

5. Une nouvelle commune

Dressée par le commis-voyer de l’arrondissement pour préparer la fusion, cette carte illustre un déséquilibre territorial écrasant entre les deux communes.

Le déséquilibre existe aussi entre les populations : 597 habitants à Ceaux, contre 217 à Joué en 1817.

On retrouve, sur la carte, l’ancien grand chemin de Loudun à Richelieu passant par Ceaux.

AN F2 II Vienne 1, 1817-1719. Dossier communiqué par M Jean-Michel Gorry, comprenant cette carte et plusieurs actes relatifs à la fusion des deux communes.

Dans les années qui suivent la fusion des communes, les habitants de Joué essaient de conserver leur paroisse en offrant de réparer eux-mêmes l’église, fermée par la Révolution et hors d’état d’être rouverte. En attendant ces hypothétiques réparations, le bâtiment continue de se dégrader et le culte est célébré à Ceaux dont l’église Notre-Dame, rouverte depuis 1804, n’est pas en très bon état. Le 20 mai 1827, une délibération de « la commune de Ceaux et Joué réunies » décide la vente de l’église et du cimetière de Joué, avec accord de l’évêque, venu en personne constater l’état de délabrement avancé de l’édifice, au point « qu’il y aurait du danger à y laisser entrer du monde ». Le couperet tombe l’année suivante avec une ordonnance de Charles X datée du 24 février 1828. Le produit de la vente participera aux frais de remise en état de l’église commune.

Désormais, la fusion est totale. Ceaux et Joué constituent une seule commune et une seule paroisse qui conservent le nom de la circonscription dominante par son étendue et sa population, Ceaux.

Quelques moments de la vie collective

Ensemble, les habitants ont vécu des temps de querelles et de réconciliations, partagé des heures sombres et des moments de liesse, subi ou appelé de leurs vœux les grands bouleversements qui devaient révolutionner leur quotidien.

Des activités partagées

Un lieu de rassemblement privilégié : l’église

Bien avant la création des conseils municipaux, les grandes décisions concernant la vie matérielle des paroisses ne peuvent être prises sans l’accord des « principaux et plus notables habittants de la paroisse », assemblés au son de la cloche, devant la principale porte de l’église. C’est le cas en 1690 pour la commande d’une cloche à un « Me fondeur de cloches du pays de Lorraine, étant de présent en ce lieu », en 1702 et 1776, pour prendre connaissance des comptes de la fabrique, en 1772, pour un échange de pièces de terre qui sera à l’origine d’un long conflit opposant le seigneur d’Artigny à l’abbaye de Fontevraud, propriétaire du domaine de La Faverie.

6. Au bas de l’acte de 1776, les noms des « principaux et plus notables habittants de la paroisse »

On reconnaît les signatures du curé Paul Camusat, de Jean Poitevin, marguiller (trésorier) Gaspard Boyer ancien marguillier, Pierre Lebeau, Jean Boyer, Marc Pivard, Mathieu Lecomte syndic, Pierre Hérigault, François Meunier, René Chauvet, Louis Poitevin. Beaucoup d’autres sont présents mais déclarent « ne scavoir signer ». Paul Poitevin comble un déficit de 3 livres, 7 sols, 10 deniers remis entre les mains du notaire, avant de céder sa place à Jean Boyer.

Des assemblées semblables se déroulent à Joué. Le 12 février 1634, ce sont les habitants réunis après la messe à l’initiative de Gilles Sanglier, seigneur du lieu, et du curé Maubergé, qui approuvent la décision de renouer avec « la feste de la dedicasse de l’églize paroichiale » tombée en désuétude. En 1742, une assemblée plus houleuse oppose les habitants, soutenus par leur seigneur Alexandre Joseph Poirier, au curé Louis Levrault pour cause de désorganisation des horaires des offices et de condamnation de l’entrée principale de l’église.

La création de l’état-civil laïque n’a freiné que lentement la fréquentation de l’église.

En 1841, l’instituteur farouchement anticlérical, dont le maire fustige l’impiété et la « morale dangereuse », n’assiste jamais aux vêpres mais on le voit à la messe du dimanche.

En 1902, lorsqu’il prend possession de sa paroisse, le jeune curé Pasquier déplore cette déchristianisation rampante. Le tableau qu’il dresse donnerait pourtant pleine satisfaction à un prêtre d’aujourd’hui : « Aux grandes fêtes, l’église se remplit encore d’une façon plus que complète ; on me dit qu’elle se remplit également chaque dimanche pendant l’hiver, mais je n’ai pu encore le constater par moi-même. En été, la moyenne des assistants est d’environ 200 personnes seulement et, sur ce nombre 40 à 50 hommes au plus. »

Du baptême jusqu’au décès, l’église est longtemps restée un passage obligé pour chaque étape majeure de la vie des habitants. Elle est aussi au cœur des grandes cérémonies collectives qui viennent rompre la monotonie de la vie quotidienne : inauguration de la nouvelle église en 1866, en présence de deux évêques (Poitiers et Angoulême) et de quarante prêtres, missions prêchées pendant plusieurs jours par des pères missionnaires aux talents d’orateurs reconnus, régulièrement terminées par la plantation d’une croix, pèlerinage de saint Fort dont la relique est censée donner force et santé aux petits enfants chétifs, jusqu’au début des années 1960.

7. La pose de la croix de la route de Chinon en 1954

Malgré le froid de janvier, la cérémonie mobilise une grande partie de la population, grands et petits, hommes et femmes, jeunes et vieux.

Archives privées, photo exposée en octobre 2006, lors de la visite de l’abbé Tribouillard, curé de la paroisse en 1954. 

Le culte continue d’être célébré dans l’église de Ceaux, même si elle a perdu son dernier curé. Depuis 2014, elle est intégrée dans la nouvelle paroisse Saint-Jean-Charles Cornay qui s’étend sur la majeure partie du Loudunais.

Les fêtes profanes

Même si certaines fêtes ont longtemps conservé ou conservent encore le volet religieux de la messe, elles sont avant tout de grands moments collectifs de détente autour d’une trilogie gagnante, spectacles, banquets et bals.

La succession des fêtes de village en 1934

8-À Bourgueil en avril

La Gazette de Loudun, 14 avril 1934

9-Au Courtil en juin 1934

La Gazette de Loudun, 2 juin 1934

Les nombreuses assemblées de village ont progressivement disparu mais comité des fête et associations continuent de multiplier les festivités offertes à l’ensemble des habitants de la commune, servis par la construction de la salle des fêtes, à partir des années 1950, ou le cadre champêtre de l’étang d’Arbonneau créé, par les habitants eux-mêmes, en 1973.

Cérémonie officielle ou divertissement : de grands moments de convivialité

10. 21 juillet 1957, l’inauguration du groupe scolaire

Rassemblement devant la nouvelle école dont les abords ne sont pas encore aménagés.

Parmi la foule, devant laquelle on retrouve le préfet et le sous-préfet, on reconnaît M. Maurice, sénateur de la Vienne ①, à côté de M. Souriau, inspecteur de l’Enseignement primaire (avec un chapeau ②) et la haute silhouette de M. René Monory, membre du conseil municipal de Loudun ③.

Collection James Chevalier

11. Théâtre dans la salle des fêtes au début des années 1960

Dans le cadre de l’Association d’Éducation Populaire de Saint Fort, les jeunes acteurs amateurs remportent un franc succès.

Collection Jean-Jacques Chabaud

À ces moments festifs, il faut ajouter l’entraide nécessitée par l’entretien des chemins et les gros travaux agricoles, qui alliaient dureté du travail et convivialité des pauses, notamment celle du repas. Longtemps l’état des techniques et le machinisme balbutiant maintiendront ces équipes de voisins et d’amis réunis au moment des fenaisons, des moissons ou des vendanges. 

12. Autour de la batteuse à La Voyette

Quand les principaux outils de travail étaient la fourche et la force des bras, la pause était la bienvenue.

Collection Josiane Pouant

13. L’entretien du chemin à La Verdure en 1943

Longtemps, les utilisateurs seront tenus d’entretenir les chemins.

Collection Michel Avril

Le temps des épreuves

Les guerres

Nous connaissons peu de choses sur l’impact des guerres lointaines sur la vie quotidienne des Ceauxois.

Grâce à quelques lignes du curé Jacques Philippe Delapierre, nous savons que Ceaux n’est pas resté à l’écart des dégâts causés par les guerres de Religion. En 1728, il se plaint de la perte de plusieurs « rentes considérables », faute de pouvoir produire des titres brûlés un siècle et demi plus tôt par les troupes protestantes qui ont traversé la paroisse.

Quelques décennies plus tard, c’est à peine si nous entrevoyons les soldats de la République  à travers le tirage au sort des quatre cavaliers réclamés à la commune en décembre 1793. Recrutement aléatoire, l’un d’eux, Louis Turquois sera remplacé par son frère René, lequel, n’ayant pas la taille requise, sera renvoyé et remplacé à son tour par le citoyen Paul Poitevin que les responsables municipaux prendront, cette fois, le temps de mesurer.

14. Paul Poitevin, soldat de l’an II (1794)

« … le sort est tombé sur le citoyen Paul Poitevin de la Commune de Ceaux agé de vingt sept ans taille de cinq pieds trois pouces [environ 1,70 m] , figure maigre, nez allongé, yeux enfoncés, menton pointu, cheveux chatins et plats, Bouche moyenne, lèvre supérieure avancée. Lequel par l’effet du sort demeure et reste enrolé pour le Citoyen René Turquois de la Commune de Claunai pour servir en qualité de cavalier dans les armées de la République française ».

Photocopie de l’acte de recrutement du 10 ventôse, an II (28 février 1794) (détail)]

Les premières précisions arrivent avec les conscrits du Premier Empire. Ils participent aux campagnes d’Autriche, d’Allemagne, de Russie ou d’Espagne qui coûtent la vie à Antoine Savoye, originaire de Joué (22 ans), Louis Moulier (20 ans), Paul Mauberger, Louis Lemaître, puis son frère Alexis qui allait avoir 20 ans, Charles Baudouin (20 ans).

Certains sont purement et simplement « rayé des listes » comme Jean Fourniau, conscrit de 1810, disparu sans laisser de traces ou perdus de vue après un séjour à l’hôpital comme Jean Boyer (26 ans en 1807), ou Charles Beaudouin (21 ans en 1813). D’autres vont devenir des vétérans dont on écoutera probablement longtemps les récits. Pierre Joulin vit jusqu’en 1857, René Chaveneau et Louis Girard jusqu’en 1858, Jean Durand  et Antoine Longueville en 1865, Louis Fouquet en 1867.

Il faut attendre 1892 et le vote d’une subvention pour commémorer leur mort, pour trouver le nom des victimes de la guerre de 1870 : Joseph Avril, Jean Chevalier, Jean Luce, Antoine Savoie, décédés à Paris et Léopold Charles, comte de Mondion, sous-lieutenant au 23ème de ligne, tombé à Metz, le 16 septembre 1870, à 23 as.

L’hécatombe causée par la Grande Guerre de 1914-1918 se lit sur la liste des 45 noms du monument aux morts de la place, inauguré à la fin de 1921, et de celui du cimetière destiné, à l’origine, à rendre hommage à tous les soldats dont le corps, disparu ou enterré ailleurs, n’avait pu être rapatrié à Ceaux. Il faut y ajouter ceux qui figurent sur d’autres monuments aux morts, et dont la liste est donnée par le Souvenir Français de Loudun : Désiré Carrion, Camille Destouche, Joseph Duchesne, Auguste Laurencin, Édouard Leclerc, Auguste Lhuillier, Jean-Baptiste et François Perrochon, Joseph Signolet et Octave Soreau, sans oublier celui qui ne figure sur aucun monument, Louis René Giraudon. Il faudrait enfin faire le compte de ceux qui décèderont plus tard, des suites des blessures ou des maladies contractées pendant les combats et de ceux qu’elle a laissés handicapés, physiquement ou mentalement, pour le restant de leurs jours.

La Seconde Guerre mondiale est moins meurtrière pour la commune : une seule ligne sur le monument aux morts pour Norbert Meunier, déporté en 1944 et décédé à Ravensbrück à 21 ans.

La vie communale est bouleversée par l’arrivée des Mosellans, évacués préventivement d’Audun-le-Tiche dès 1939. En octobre 1940, la mairie de Ceaux dénombre 102 personnes, hommes, femmes et enfants, dont la plupart, par choix ou obligation, resteront à Ceaux pendant toute la durée du conflit. Pour accueillir les enfants germanophones et leurs instituteurs, on installe sur la place de l’Église des bâtiments préfabriqués à usage d’école que la municipalité décide de racheter en janvier 1946 pour y installer le foyer rural et la cantine scolaire.

15. Sur la place de l’église, une école pour les petits Mosellans.

Collection Michel Avril

Moins meurtrière, la guerre est cependant plus clivante. En juin 1945, une première affaire déchire le comité local de Libération. L’un des membres accuse certains habitants de Ceaux de collaboration pour avoir cédé « à des prix très élevés du beurre et autres denrées à des réfugiés », vendu des porcs ou des métaux non-ferreux aux Allemands, soustrait des chevaux aux réquisitions. À la rentrée 1945, une autre affaire secoue la commune. La nomination d’un couple d’enseignants, muté de Monts-sur-Guesnes à Ceaux pour la « propagande collaborationniste » à laquelle se serait livré l’instituteur, entraîne une protestation du maire Georges Mauléon. Après enquête, la propagande se réduira à des propos anti-anglais, tenus en privé, par un instituteur témoin des affrontements des marines françaises et anglaises en Syrie en 1941. Le transfert de la belle école de Monts à Ceaux, « où les locaux scolaires sont misérables », est considéré comme une sanction suffisante.

Aucune de ces affaires n’est allée très loin mais on imagine quelles rancœurs elles ont laissé dans une partie de la population.

Les épidémies

Qualifiée globalement de « pestes », elles ont longtemps touché la commune de façon récurrente. Il faut cependant attendre la tenue régulière des registres paroissiaux pour en mesurer la gravité.

En 1632, Ceaux affiche 98 « morts de contagion » entre juillet et novembre 1632. La petite paroisse de Joué compte 22 victimes entre 1632 et 1633. C’est la pire mortalité de la Vienne.

À l’automne 1918, la commune renouvèle cette triste performance avec les 27 décès causés par la grippe espagnole, dont celui du maire, François Malécot. Le 13 octobre 1918, la municipalité envoie des remerciements au sous-préfet de Loudun pour l’aide apportée pour la création d’un hôpital à Ceaux « grâce auquel l’épidémie de grippe a été promptement enrayée ».

Même si on n’est plus dans le registre des épidémies, il faut signaler une autre cause de mortalité qui a longtemps frappé femmes et enfants au moment des naissances. En espérant obtenir l’établissement d’une sage-femme, un rapport de 1799, signé de l’ancien curé de Ceaux, Levieil, devenu officier d’état-civil, dénonce l’intervention des matrones improvisées, parentes ou voisines, qui peuvent perdre la tête en cas d’accouchement laborieux et tuer, d’un seul coup, la mère et l’enfant.

Les caprices de la météorologie

Souvent imprévisibles et ravageurs, ils continuent d’être redoutés, aujourd’hui comme autrefois.

Souvent évoquée, la tornade de 1863 ne fait aucune victime humaine mais cause des ravages considérables : déracinement des arbres, effondrement de la vieille église romane, destruction de la toiture du presbytère nouvellement construit, écroulement du mur du cimetière et de la maison du maire, etc. Moins connu, l’ouragan de 1828 avait déjà malmené le clocher de la vieille église en partie réparée grâce à la vente de l’église et du cimetière de Joué.

Trois après la grande tornade, le compte rendu du conseil municipal du 6 juin 1866 se fait l’écho d’une nouvelle catastrophe : « le deux juin, à trois heures du soir, une nuée de grêle avait complètement ravagé une partie de la commune à partir du bourg de Ceaux jusqu’à la limite du département d’Indre et Loire, et ce, dans une longueur de cinq kilomètres » ; dans une grande partie, toutes les récoltes sont entièrement anéanties, la perte est d’autant plus grande que les paillers et chaumes se trouvent entièrement perdus.

Bien avant ces dates, en juin 1765, un compte rendu de visite effectuée dans le secteur de La Touche, fait allusion « au dommage considérable causés aux vignes, bleds, bois taillis et noyers d’une grande partie de [la] paroisse par l’ouragan, l’abondance et grosseur de la grêle qui tomba le quatre de ce mois ».

Les conséquences de ces phénomènes redoutés ont longtemps pesé sur les seuls exploitants. En 1878, l’article 12 d’un bail concernant Le Verger précise que les preneurs « ne pourront prétendre à aucune indemnité ni à aucune diminution du prix et des charges imposées par le présent bail pour cause de grêle, gelée, inondation, stérilité, ni aucun autre évènement prévu ou imprévu ». En 1888, deux autres cas s’ajoutent à cette liste : « feu du ciel, ravages de guerre qui anéantiraient la récolte partiellement ou en totalité ».

Pendant des siècles ni les modes de vie, ni l’environnement des habitants n’ont connu de transformation majeure. Les modifications commencent à partir du XIXe siècle, lentes, imperceptibles d’abord, puis de plus en plus rapides pour en arriver à l’accélération actuelle.

La lente transformation des modes de vie et de l’environnement

La mairie et l’école, nouveaux foyers de la vie sociale

Face à l’église, la Révolution installe un nouveau centre de pouvoir et de vie collective, la mairie. À Ceaux, elle mettra plus d’un siècle à trouver le local qui lui convient. 

Les premiers responsables municipaux se réunissent dans l’ancien prieuré, rapidement abandonné pour redevenir presbytère. On retrouve ensuite la mairie dans différentes salles de la « maison Soreau», acquise en 1887, qu’elle a longtemps partagée avec une partie de l’école et un espace en location « à usage d’auberge ». En 1954, en prévision de la création d’une quatrième classe, le conseil s’installe enfin au rez-de-chaussée sans emploi du bâtiment actuel, dont l’étage est réservé pour loger les instituteurs. Après la création du groupe scolaire, en 1957, elle occupe enfin la totalité du bâtiment totalement restauré en 2018. 
16. La mairie dans la « maison Soreau », 1921 et 1931

AD 86 O 54 5, d’après le plan accompagnant le projet d’agrandissement du cimetière pour 1921 et 601 W 76, dossier de construction du groupe scolaire pour 1931


17. Liste des maires de Ceaux de 1791 à 2021

Registres des délibérations des conseils municipaux et 1 Q 420 art.461 – 11 juillet 1791 pour Joseph Louis Vincent de Mondion – Registres d’état civil pour Jean Poitevin, « maire et sacristain », 15 février 1792 et AD 86 L 48, 20 janvier 1793 pour Michel Mauberger (prénom donné le 29 prairial an II/17 juin 1794 dans le registre d’état civil)

Que ce soit à propos de l’école ou du presbytère, l’harmonie n’a pas toujours régné au sein de la commune, voire du conseil municipal. Dans les années qui ont précédé la Grande Guerre, le projet de création d’une école de hameau à La Voyette scinde en deux groupes égaux (six contre six) les conseillers municipaux. En 1931, le conflit entre le maire, Georges Mauléon, et le curé Maurice Gilloire à propos du presbytère remonte jusqu’à l’évêché. Menacée de « la fermeture de l’Église et la suppression totale du culte », la municipalité doit céder.

18. Début 1913 : entre le maire (François Malécot) et six de ses conseillers, c’est la rupture

Au milieu du XIXe siècle, un nouveau centre de vie fait son apparition : l’école.

Dans un premier temps, l’installation d’une école, rendue obligatoire par la loi Guizot du 28 juin 1833, se heurte à beaucoup d’incompréhension au sein du conseil municipal de Ceaux.

En août 1836, lorsque le sujet est mis à l’ordre du jour, seuls le maire, Pierre Faucillon, l’adjoint Armand Dubourg et quatre conseillers sont présents mais « ont tous dit quil ne voullais vottée aucun centime pour lecolle primere et communal, le surplus du conseil municipal ne sisont point trouvé quoi que convoqué. » Il faut attendre 1840 pour que la situation se débloque avec l’achat d’une partie de la maison située à l’emplacement de la mairie actuelle. Destinée à accueillir l’école et le logement des maîtres, elle sera agrandie en 1857, avec l’achat de la seconde partie de la maison.

19. La première école de Ceaux 1840-1857

La présence d’une partie de l’église et l’ancien chemin de Loudun à Richelieu permettent de la situer à l’emplacement de la mairie actuelle.

D’après le plan qui accompagne l’achat de février 1857

L’agrandissement nécessaire, surtout après l’obligation d’accueillir les filles (1867), les lois Ferry de 1881 et 1882, imposant aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école, la création d’une classe enfantine en 1910, comme l’assainissement des locaux, sera un souci constant pour toutes les municipalités jusqu’à la construction du groupe scolaire actuel, en 1957.

Liens possibles pour l’histoire de la mairie et de l’école : promenade n° 4, À partir du bourg (1), pp. 21 à 26 et promenade n° 3, Sur les terres du roi, pp. 6/7 (pour le projet d’école de hameau)

Quand les routes remplacent les chemins

Longtemps, un épais maillage de chemins a sillonné la commune, parcourus en permanence par les hommes, leurs montures et leurs attelages.

Si certains passages sont exceptionnels comme celui du cortège royal qui entoure la reine mère Catherine de Médicis, accompagnée de ses enfants, le jeune roi Charles IX, ses frères, le duc d’Anjou (futur Henri III) et le duc d’Alençon, sa sœur Marguerite (la reine Margot) et un autre enfant de sang royal, Henri de Navarre, futur Henri IV, alors âgé de 12 ans. Parti de Loudun pour gagner le château de Champigny-sur-Veude, il fait étape dans le « pauvre village » de Ceaux. Beaucoup plus fréquemment, les chemins sont parcourus par le ballet des charrettes qui transportent « bleds », vin ou noix des métairies jusqu’aux domiciles des propriétaires, les pierres nécessaires aux réparations des bâtiments, la production destinée à la vente sur les marchés, etc. Plus tard, les enfants les emprunteront quotidiennement pour gagner leur école du bourg.

En 1840, la construction de la route départementale entre Richelieu et Loudun, entraîne un premier bouleversement. Discuté pendant quelques années, son tracé laisse à l’écart le chemin séculaire qui traversait le bourg de Ceaux, pour une trajectoire rectiligne par Pouant et Joué. Pour la commune, qui compte alors plus de 1000 habitants, c’est le début d’un long déclin illustré par le rapide transfert de la perception à Pouant, contre lequel s’élève le conseil municipal en février 1846, et la baisse régulière de la population à partir de 1856. En février 1846, le conseil municipal constate que la réalisation de la route départementale a rendu le chemin « complètement désert ».

20. Le grand chemin de Loudun à Richelieu sur la carte de Cassini (2ème partie du XVIIIe siècle)

Ceaux étaient une étape incontournable. 

Site geoportail.gouv.fr. (détail)

21. L’évolution de la population (1790-2018)

Source : INSEE

Avec la multiplication du réseau routier lié à la démocratisation de l’automobile, la plupart des chemins perdent leur utilité. Deux remembrements successifs (1950 et 2000) seront fatals à beaucoup, les autres ne sont plus fréquentés que par les engins agricoles et quelques promeneurs.

On oubliera peu à peu leur nom. Qui se souvient du « chemin de Ceaux à Richelieu » tronqué sur une grande partie de son parcours ? du « grand chemin de Ceaux à Saumur », passant par Estrepieds  et le nord de Bournand, devenu la route de Sammarçolles ? du « chemin de Saint-Hilaire » longtemps parcouru par les chanoines de Pouant pour gagner leur domaine de Lussay ? du « chemin de Ceaux à La Verdure » emprunté par des générations d’écoliers et qui a complètement disparu ? Qui se souvient des nombreuses croix de carrefour, protection et repère pour les voyageurs, et dont le seul exemplaire, modifié mais encore en place, est la croix d’Artigny ?

22. Sur un plan de 1749 : le « chemin de St Hylaire » et « la Croix de Chaunay »

Venu de Pouant, le chemin passait derrière le Grand-Chaunay et les Courtils pour gagner Lussay.

AD 86 G 937, 18 juin 1749 (détail)

Trois révolutions agricoles transforment les paysages

Au-delà des maisons et de leur environnement immédiat de jardins et de vigne, commençait autrefois le monde des labours, où la plupart des parcelles, partagées de génération en génération, se mesuraient en ares et en centiares. En 1833, aux Mées, lorsque Madeleine Pinsard partagent ses terres entre ses quatre fils, la part de chacun se compose de parcelles, voire de moitiés de parcelles, qui paraîtraient minuscules aujourd’hui : 15 ares 82 centiares, moitié de 14 ares 52 centiares pour les labours, moitié de cinq ares 28 centiares pour la vigne, etc.

Si les pratiques culturales restent globalement traditionnelles, « selon l’usage du pays », un début de modernisation apparaît à la même époque avec l’importance accordée aux prairies artificielles de sainfoin et aux légumineuses qui permettront de faire reculer les jachères. Une première révolution agricole est en marche, la deuxième, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, fera enfin décoller les rendements avec la généralisation des engrais artificiels, mais le paysage ne prendra sa forme actuelle qu’avec la troisième, celle des années 1950, avec les remembrements et la généralisation des machines.

23 et 24. La transformation du parcellaire autour des Mées et de La Gautronnière entre 1838 et 2002

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AD 86, Cadastre numérisé, 1838, section G feuille 5 (détail) et photo Patrick Toubas, 2002

Cette troisième révolution agricole commence très tôt sur la commune, initiée par des agriculteurs de pointe. Le comice agricole organisé dès 1946 par le maire Georges Mauléon, fait encore la part belle aux chevaux, compagnons indispensables des labours, mais les tracteurs, qui avaient fait une apparition timide avant la guerre, sont déjà là. En quelques années, ils font disparaître bœufs et chevaux et les parcelles destinées à assurer leur nourriture. D’autres machines arrivent très vite, de plus en plus imposantes.

La seconde partie du XIXe siècle est une période de prospérité pour de nombreux propriétaires de terres. L’enrichissement des sols dont le rapport de 1799, déjà évoqué, déplorait « le fond pierreux », « l’ingratitude et la stérilité », l’extension de la vigne boostée par l’arrivée du chemin de fer, le développement des truffières, assurent une aisance certaine dont les nombreux porches monumentaux et les maisons de maître témoignent encore aujourd’hui.

25-Un témoin de la prospérité du XIXe siècle

À l’entrée du bourg, une grande maison de maître construite sur un espace de labour dans la seconde partie du XIXe siècle.

Photo Sylvette Noyelle, 2018

La commune n’a pas été épargnée par le processus de désertification qui touche toutes les communes rurales avec le départ des jeunes à la recherche d’un emploi hors de l’agriculture, la baisse et le vieillissement de la population, la fermeture des commerces et des services.

Elle garde cependant de nombreux atouts. Elle est au cœur de riches terres agricoles qui n’excluent pas le maintien d’espaces forestiers. Elle a su garder son école devenue le centre d’un RPC (Regroupement Pédagogique Concentré)  et se bat pour conserver ses commerces de base (30 en 1920). De nombreuses associations perpétuent la tradition de la convivialité et le sens de la fête.

Les nouveaux arrivants apprécient l’espace et la tranquillité qui font défaut à la vie urbaine. Aux plus curieux, elle offre aussi une longue histoire et un riche patrimoine qui se découvrent pas à pas.

Ceaux, le 26 février 2021, Sylvette Noyelle

Ce travail est le résultat de 30 ans de recherches.

Grand merci à tous ceux qui, à un moment à un autre, m’ont apporté leurs concours :

à Ceaux, à Jean-Michel Gorry, historien, décédé en 2020, qui n’a pas ménagé son aide, et à tous les habitants dont le nom est mentionné dans cette étude,

à mes amis de Loudun, habitués des archives ou collectionneurs, Jacques Albert, Philippe Berton, Thérèse Dereix de Laplane, Sylviane Rohaut, Jacques Sergent,

à Charly Autson, originaire de Pouant et fou d’histoire locale.