Les puisatiers de Ceaux
Zoom sur un métier devenu rare au 21ème siècle :
Sourcier – Puisatier
Audition d’un professionnel en retraite depuis 2012 – Le vendredi 26 mars 2021. Il est considéré comme le dernier sourcier puisatier dans la Vienne.
Serge LORIOUX reçoit notre équipe, Vincent AGUILLON, animateur patrimoine-environnement – CCPL, Régis SAVATON, maire de Ceaux-en-Loudun, qui a permis la rencontre (ils sont voisins au lieu-dit « Les courtils ») et Sylvette NOYELLE, historienne, qui recense le patrimoine de la commune.
Une adresse connue bien au-delà du Loudunais
La carrière
Serge est né le 31 décembre 1952 à Rouillé, au lieu-dit « l’Épine » dans la Vienne. Il est l’aîné d’une famille de 10 enfants. Son père était maçon mais a fait carrière comme cultivateur. Son grand-père René LORIOUX était sourcier. Serge considère qu’il a reçu son don de lui. « On a ça dans le sang » !
A 14 ans, il voit des agents travailler sur l’adduction d’eau de son village. Il se débrouille pour se faire embaucher et est plus particulièrement affecté à la pose des joints sur les canalisations avant d’être enfouies, dans une entreprise de Savonnières (37). Plus tard, il participe à des remembrements et manœuvre des engins dans une entreprise de Pamproux (79). En 1971, il vient travailler sur la commune de Maulay (86) pour le remembrement agricole. Il y rencontre sa future femme, Brigitte CHALLANDARD, qu’il épouse en 1974. Ils vivent alors dans une caravane, au gré des chantiers auxquels il participe, notamment dans le Tarn et l’Aveyron, entre Albi et Rodez, mais aussi en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne.
Un an plus tard, il intègre l’entreprise Girault de Loudun qui exploite entre autres, des carrières de pierres calcaires à la Motte-Bourbon (86). Il y conduira les pelles mécaniques durant de nombreuses années (de 1983 à 1994) et il y côtoiera des artificiers. Il a eu lui-même l’occasion d’utiliser la « gomme » au sein de la carrière. Cela lui servira plus tard dans son métier de puisatier.
En 1994, sa carrière prend un nouveau tournant. Quelques années auparavant, Serge rencontre M. Leclerc, ancien sourcier-puisatier à Champigny-sur-Veude (37) et Yves Mangin, qui a développé cette activité dans le secteur d’Assay (37). Il accompagne d’ailleurs ce dernier de plus en plus souvent dans ses chantiers. Mais comme il ne s’entend guère avec lui et qu’il se rend compte qu’il y a des demandes croissantes qui ne peuvent être honorées, il décide de s’installer à son compte en 1994. Son fils, Mickaël, habitant Basses, le rejoint en 1996.
Son savoir-faire sera tellement reconnu que, durant ses 18 années d’activité, il va assurer des dizaines de chantiers dans un rayon de plus de 100 kilomètres, autant pour curer et restaurer des puits anciens que pour en créer de nouveaux. Pour cette dernière activité, son don de sourcier et son expérience en maniement de pelles, de marteau-piqueur et aussi d’explosifs furent des atouts précieux pour l’exercice de son métier. Sa réputation était grande, notamment dans le Maine-et-Loire où il est souvent intervenu. Ainsi dans un village du Layon où le vin coule à flots et où il a réalisé « 7 puits pour 7 frères ».
Au fond d’un puits
Le travail est loin d’être toujours aussi « simple »
Photo : collection Serge et Brigitte Lorioux
Un métier difficile
Son activité pour restaurer, nettoyer et curer les puits lui a réservé des heures assez pénibles notamment du fait que les vieux puits, souvent délaissés depuis l’arrivée de l’eau courante dans les années 1970, ont souvent servi de dépotoir. Serge a remonté des tonnes de ferrailles, des squelettes d’animaux, des vieux fusils, des milliers de tessons de verre… Il avait même aménagé un gros aimant pour éviter les blessures et lui faciliter la tâche.
Après le nettoyage
Remontés au grand jour, les contenus d’un puits-dépotoir non localisé (à gauche)
et d’un puits-latrine vers Civaux (à droite)
Photos collection Serge et Brigitte Lorioux, janvier 2006
Le simple curage pouvait prendre une demi-journée mais parfois le nettoyage pouvait durer une semaine, avec des épaisseurs de plusieurs mètres, parfois même de déjections humaines !
C’était un métier pénible, dangereux et peu rémunéré (on appelait les puisatiers « taupiers » ou encore « buveurs d’eau »).
Il garde de très nombreuses anecdotes, comme cette fois où, à Faye-la-Vineuse (37), il a sorti plusieurs squelettes de fœtus, ou une autre fois à Fontevraud (49), de nombreux squelettes de chiens, ou ailleurs encore, un obus, plusieurs grenades, deux carabines, des fusils et enfin des restes supposés humains.
Il a aussi le souvenir d’un puits spectaculaire du côté de Rou-Marson (49), une cavité de 1,20 mètres de diamètre, creusée dans la roche, permettant de faire passer l’eau d’un puits à l’autre, une rigole étant guidée par une saignée sur 25 mètres de long environ ; également un beau puits ovalaire mitoyen à La Boule, commune de Ceaux-en-Loudun anciennement chez M. Léandre Lebeaupin, ou encore à Crué, chez Jacques Berton, à l’intérieur du puits, une grosse pierre de silex qui n’avait pu être retirée à cause de sa taille et de sa dureté. Il s’en est alors servi pour installer son collègue qui lui passait le matériel depuis ce niveau intermédiaire, sorte de palier.
Le puits double de La Boule
Au fond du puits, la tache lumineuse signale la présence du puisatier.
Photo : collection Serge et Brigitte Lorioux
Il y a aussi de nombreuses petites cavités naturelles ou des saignées, de petites failles où l’eau parfois s’écoule. Il y a aussi un phénomène connu dans le métier, lorsque soudainement l’eau gèle en surface à cause des gaz ; en effet, parfois, des poches d’azote renfermées dans les roches se trouvaient libérées par le travail du puisatier. Cela n’était pas sans risque non plus.
Les rencontres avec des animaux y sont fréquentes… des salamandres, lézards verts, sangsues, même parfois des anguilles (dans les Deux-Sèvres). Il a aussi vu des couleuvres, une vipère rouge, des crevettes, parfois assez grosses, et même un gros œuf… mais fossilisé (plus gros qu’un œuf d’oie).
La technique du curage des puits
Avant toute intervention, il faut s’assurer que :
- le conduit est en bon état, que ce soit dans la partie maçonnée, dans la zone supérieure et dans la partie creusée dans la roche.
- la cavité ne manque pas d’oxygène et qu’il n’y a pas de gaz sournois. Il y faisait alors descendre une bougie pour vérifier que la flamme ne s’éteignait pas. Si c’était le cas, il envoyait l’air grâce à un compresseur. Aussi le fait qu’il fume dans le puits permettait de jauger l’atmosphère.
La cigarette du puisatier
La cigarette allumée va permettre de jauger l’atmosphère au fond du puits.
Une bougie pourra prendre le relais.
Photo : collection Serge et Brigitte Lorioux, janvier 2006
- La profondeur du puits et de la lame d’eau, jauger l’épaisseur de boue dans le fond grâce à la « pige » ou la présence d’objets ou déchets indésirables. Pour cela il pouvait s’aider d’un miroir placé en haut du puits, orienté vers le soleil. À défaut d’y croiser le regard du terrifiant « Basilic » (**), cela permettait d’apercevoir le fond du puits.
L’objectif était de débarrasser le puits de déchets et de boues qui finissent par tapisser le fond et éventuellement de recreuser légèrement le fond pour atteindre des « sources » plus puissantes.
Il se rappelle avoir nettoyé le fond, suspendu par les pieds, la tête en bas, car le trou du puits ne faisait pas plus de 60 cm de diamètre – impossible de s’y retourner. Le fond du puits est très spécifique, terminé en cuvette resserrée avec rebords d’environ 30 cm de haut de sorte que la boue s’y installe sans obstruer la pompe, située juste au-dessus ; formant comme un petit bassin de décantation.
Les outils utilisés
- baguette en bois d’orme (dit « ormeau »)
- marteau-piqueur (dont l’un pèse près de 50 kg) et que serge pouvait actionner, tout au fond, durant des heures
- piochon
- seau fait « maison » pour éviter qu’il bascule, avec le mousqueton adéquat, genre de pince pour tenir l’anse. S’il basculait avec sa charge pleine, ça pouvait être l’accident grave, même mortel
- balançoire, siège en bois qui lui permettait de descendre et remonter
Quelques outils parmi lesquels la balançoire
Photo : Vincent Aguillon-CCPL, 26 mars 2021
- grappin à trois dents pour récupérer les « seilles » tombées au fond, seaux en fer spécialement conçus pour les puits
- baladeuses pour éclairer le puits
- pompes de relevage dont les plus puissantes pouvaient retirer jusqu’à 10 mètres cube/ heure
- gomme (autrefois poudre noire) utilisée comme explosif
- pige : bâton ou pigouille en fer servant à sonder le fond du puits, sans oublier les pinces, les sangles, treuils, buses et gros matériels nécessaires au creusement des puits neufs.
Le savoir-faire pour créer un puits
Les anciens, quant à eux, n’avaient ni marteaux-piqueurs ni pelles mécaniques pour la création des puits. Tout se faisait à la main, au piochon et à la barre à mine et il fallait assurer la maçonnerie. Comme ils n’avaient pas non plus des pompes modernes, dès qu’ils arrivaient au niveau des courants d’eau, il leur fallait éponger pour pouvoir creuser un peu plus bas. Pour cela ils pouvaient carrément se servir de leur chemise qui était mise en bouchon.
Si l’on prend en compte la profondeur de certains puits, parfois, près de 50 mètres dans les zones de tuffeau (Turonien), la réalisation d’un ouvrage pouvait prendre plusieurs mois de chantier. Ce travail titanesque et ce savoir-faire qui sera sans doute bientôt en voie d’extinction, forcent l’admiration. Ils doivent tout au moins nous permettre de regarder différemment tous les puits du pays et de les respecter dès lors que des projets les menaceront.
La première phase consistait à sonder le sous-sol et à détecter la présence de l’eau. Il fallait encore estimer le débit du courant d’eau et sa profondeur. Pour seul outil, une simple baguette de bois et son « ressenti », sa sensibilité.
Certains parlent de magie ou de don car il y a quelque chose d’irrationnel dans cette perception de l’élément eau. Et s’il est une chose de ressentir une vibration, un fourmillement ou « picotement dans les veines » comme le dit si bien Serge, il est autre affaire de pouvoir interpréter ce que l’on ressent.
Sourcier : un don et une technique
Serge Lorioux et sa baguette d’ormeau,
au cours d’une démonstration dans la cour de sa maison des Courtils, le 26 mars 2021
Photo : Vincent Aguillon-CCPL
Serge nous fait une petite démonstration du maniement de la baguette. Il utilisait des baguettes d’ormeau (orme champêtre) et non de noisetier (dit traditionnellement « coudrier »), car pour lui, l’ormeau possède l’avantage de ne pas casser à force d’utilisation. En effet, les rameaux sont très fins et la baguette, qui forme un Y, est soumise à des pressions assez fortes lorsqu’elle tourne sur elle-même alors que les mains sont fortement resserrées sur les tiges (il n’est pas rare de voir certains sourciers de la région utiliser aussi du bois, mais plus souvent du noisetier, mais aussi des baguettes fines en acier, et même parfois des pendules).
Dans sa cour, la présence d’un ruisseau souterrain à environ 15 mètres nous permet de découvrir la force avec laquelle la baguette amorce une rotation, malgré la puissance de la prise en main. Le nombre de tours qu’elle exécute lui permet de savoir à quelle profondeur se trouve l’eau et la vigueur des rotations, le volume d’eau approximatif. La marge d’erreur est assez réduite et il nous dit s’être rarement trompé, à deux ou trois mètres près.
Ainsi, une anecdote du côté de Basché, non loin de Ceaux-en-Loudun, côté Indre-et-Loire, alors que des pelles s’activaient depuis plusieurs jours sans rien trouver. Lorsqu’il est arrivé sur le site avec ses baguettes, le débit était tel, à environ 20 mètres de profondeur, qu’une sensation forte lui a été transmise dans les veines, jusqu’à ressentir des fourmillements.
Des connaissances sur la géologie et ses réseaux d’eau
Au cours de son activité, il a également engrangé de nombreuses connaissances sur la géologie, notamment sur le danger représenté par les zones sableuses et argileuses (anecdote sur un ruisseau qui l’a littéralement plaqué contre les parois ou d’un énorme affaissement de couches argileuses alors qu’il avait demandé au propriétaire de ne rien faire avant sa venue), les niveaux de nappes, les écoulements des ruisseaux souterrains.
Au fond du puits, l’indispensable pompe
Photo : collection Serge et Brigitte Lorioux
Pour lui, les zones de roches calcaires sont plus sûres, les tuffeaux en particulier ou les galuches (calcaire dur du Jurassique supérieur qui se débite en platins peu épais) même si ces derniers bancs, parfois, recelaient des niveaux hétérogènes avec présence de silex. Il se souvient ainsi d’un chantier à Angliers qui, à cause de ce banc très dur, lui a pris plusieurs jours alors qu’il était censé n’intervenir qu’une seule journée.
À ce sujet, en plus d’être un travail « pointu » d’expert, dangereux, fatigant, stressant (à cause du danger permanent), c’était un travail peu rémunéré, en tous les cas, non rémunéré au temps passé mais au mètre cube extrait.
Quand il creusait de nouveaux puits, il s’arrangeait pour installer des buses de 1,5 mètre de diamètre. Sur une profondeur de 10 mètres, cela équivaut à un cubage de 17 mètres cubes à … euros le mètre cube…
Dans sa restauration de puits, il a pu aussi quelquefois remettre en état des pompes DRAGORE (chaîne à godet avec une roue folle qui faisait guide), des pompes BODIN (tringlerie à arbre à came) ou des pompes à bras traditionnelles.
Le point final, enfin
Avec la pose de la margelle à Chouppes, en février 2003
Photo : collection Serge et Brigitte Lorioux
Nous sommes très reconnaissants à Serge et à son épouse pour la chaleur de leur accueil.
Il était prévu de reprendre contact avec lui pour se déplacer sur un site et voir un ou deux puits intéressants du secteur.
Vaincu par la maladie, il est parti en juillet 2021, en emportant le reste de ses souvenirs.
Vincent Aguillon – animateur patrimoine-environnement – CCPL
Le 29 mars 2021
Compléments et relecture par Sylvette Noyelle, historienne et Régis Savaton, maire de la commune.