LES ARBRES
Compagnons inséparables des hommes, les arbres et leur bois ont longtemps constitué leur unique moyen de chauffage et une matière première de base, aussi incontournable que la pierre pour la construction et la finition des bâtiments, indispensable pour la fabrication des objets du quotidien.
Leurs fruits, et parfois leurs feuilles, apportaient un complément de nourriture appréciable aux hommes et aux animaux, et, dans le cas particulier des noyers, l’huile qui permettait aussi de s’éclairer.
Ajoutons qu’à une époque où la vie était souvent très courte, la rassurante longévité des arbres qui voyaient se succéder les générations, a pu les faire utiliser comme repères au moment des bornages.
Les anciens ont pu aussi apprécier leur ombre et, en dehors de toute fonction utilitaire, admirer leur beauté. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, les arbres occupent une place particulière dans l’histoire de Ceaux.
Quelques repères historiques
Face aux champs nus d’une grande partie de la commune, on a du mal à imaginer les paysages d’autrefois, quand les arbres étaient partout. En dehors des espaces boisés et des jardins ou des parcs proches des habitations où ils se concentrent aujourd’hui, on les trouvait dans les haies, beaucoup plus nombreuses, qui protégeaient les espaces de culture, en bordure des chemins, dans les vignes, autour et en plein champ, le long des allées des grands domaines. Dans tous les cas, ils étaient l’objet de l’attention particulière des propriétaires qui se réservaient toujours la maîtrise de leur gestion.
Une place à part dans les baux de fermage
Un exemple de l’extrême attention portée à l’entretien des arbres est donné dès 1679 pour La Faverie, propriété des dames de Fontevraud. Le fermier est tenu de planter chaque année « le nombre de trois douzaines de pieds d’arbres fruitiers entre lesquels y aura au moins douze pieds de noyers ». Il ne peut couper ou élaguer les bois taillis qu’une fois pendant les sept années du bail. Les interventions doivent se faire « en leurs saisons, sans en avancer ou retarder les coupes, n’y pouvoir couper, estausser (élaguer) n’y ébrancher les arbres n’y les abattre ou prétendre aucun bois de haute futaye n’y autres … qu’ils soient morts ou abattus par vents ou autrement » sans la permission de l’abbesse.
La Révolution change les propriétaires mais maintient le système. En 1812, le bail de la métairie des Trépeaux, comporte l’obligation de « planter chacun an douze arbres fruitiers et douze arbres de truisse », le nouveau métayer des Petite et Grande-Motte (respectivement sur Ceaux et sur Pouant), devra planter quatre noyers, quatre ormeaux et quatre arbres fruitiers tous les ans, tandis qu’à La Touche, le propriétaire se réserve « la faculté d’arracher et planter telle quantité d’arbres qu’il lui plaira sur les dépendances de la ditte maison ».
Quelques décennies plus tard, un bail de neuf ans concernant une métairie de La Gautronnière est encore plus précis. « La tonte et l’élagage des arbres seront faits par le preneur à son profit, dans les temps et saisons convenables, et sans les étêter, savoir : pour les chênes à l’âge de neuf ans, pour les ormes, à l’âge de six ans, pour les saules, peupliers et autres arbres à bois blanc, à l’âge de cinq ans, sans pouvoir en avancer ni retarder les coupes ainsi réglées ».
Le cas particulier des espaces boisés
C’est l’ensemble de leur écosystème qui est utilisé. Réservoirs de matière première, sources de profit au moment des ventes (en 1865, celle de 260 arbres permet à la commune d’acheter une des maisons qui obstruent la place publique), réserves de chasse et de gibier pour les propriétaires, les bois profitent aussi à leurs métayers.
Le droit à la glandée est régulièrement mentionné. Très encadré, le droit de pacage est accordé à leurs bestiaux (chèvres exceptées précise un acte de 1847 concernant la métairie des Trépeaux), dès que les arbres ont atteint une taille suffisante pour ne pas craindre les « broutissements ». En 1827, le bail de La Briffaudière précise « lors qu’ils auront atteint l’âge de cinq ans et un mois ». En 1885, le métayer de La Garennerie est autorisé à couper de l’herbe et à ramasser des feuilles dans des bois du propriétaire, à condition de couper l’herbe à la faucille et non à la faux, en respectant les jeunes arbres et les pousses des taillis.
Cette tolérance est étroitement surveillée par les gardes forestiers, les garenniers dont le premier connu apparaît dans les registres paroissiaux en 1660.
En juin 1679, un bail témoigne des avantages dont bénéficiait le garennier parmi lesquels la jouissance de la « la maison de la Folie » (La Garennerie) et, sans doute pour stimuler sa vigilance, « la moitié des amendes qui seront jugées pour les dégats qui seront fait esdits bois… ». La présence d’un garde à La Garennerie perdure bien au-delà de la Révolution. En 1823, il est toujours là et chacun des fermiers des trois métairies composantes de La Faverie, doit, sans indemnité, « labourer et cultiver le tiers des terre que le sieur bailleur donne à son garde » et« souffrir les bestiaux et brebis de ce dernier paître sur les dépendances de la dite métairie affermée »
La situation se modifie après l’achat de La Faverie par les Mondion, en 1824. Dans les années qui suivent, un cousin germain du châtelain d’Artigny, Louis Armand de Maurat, fait démolir puis reconstruire La Garennerie avant de s’y installer pour exploiter lui-même semble-t-il, le domaine sur lequel on le retrouve régulièrement dans les recensements et où il termine sa vie, en 1879.
L’entretien correct des bois n’est pas seulement l’intérêt des propriétaires, elle est aussi une obligation. Dès l’époque médiévale, notamment à partir de l’agrandissement du domaine royal par Philippe Auguste (XIIIe siècle), le pouvoir s’est intéressé à la gestion des forêts, réserves de chasse et productrices d’un matériau hautement stratégique, le bois. Le respect de la législation, d’abord appliquée aux propriétés royales, puis, à partir du XVIe siècle, à toutes les forêts, est assuré par une juridiction spéciale, la maîtrise des eaux et forêts.
En 1731, une visite des bois-taillis dépendants du prieuré de Ceaux par le responsable de la maîtrise des eaux et forêts de Chinon (Ceaux fait partie de l’élection de Richelieu et de la généralité de Touraine), illustre la précision de la règlementation qui concerne l’exactitude de la superficie boisée déclarée, les dates de coupe, le nombre, le bon entretien et la protection des arbres par le creusement de fossés « pour en défendre l’entrée des bestiaux ».
Principaux arbres d’autrefois
Certaines variétés d’arbres reviennent régulièrement dans les actes avec un quatuor de tête, les chênes, pourvoyeurs de bois noble et des glands de la glandée, les peupliers, notamment les bouillards, fournisseurs de bois blanc, les ormeaux très prisés pour les allées des grandes demeures et, bien sûr, les noyers, arbres à tout faire dont on apprécie aussi bien le bois que les noix. D’autres apparaissent moins fréquemment plus localisés comme les saules, ou exceptionnellement cités, comme les « noiseaux » (La faverie en 1688) ou coudriers (Joué, 1801), les cormiers (à Gaumonnet en 1791), les amandiers (« beaucoup » à Joué en 1801) ou les châtaigniers (Joué, 1829). Certains ont laissé leur nom à des parcelles comme La Saulaie, La Coudraie, L’Ormeau-de-Joué, Le Noyer-Chaunay, L’Ormeau-Blanc.
Le bois apparaît dans les inventaires, avec les armoires en bois de noyer (Joué, 1885), les linteaux ou les portes en bois de chêne ou d’ormeau (Joué, 1801 et Guigné 1817), un coffre en « bois fruitier » (La Boule, 1835). Les fruits sont présents dans les redevances avec les noix écalées puis réparties dans la cour entre propriétaire et métayer, les pommes, les poires, les prunes, généralement partagées par moitié ou les fruits des hautes branches parfois réservés aux seuls propriétaires. Jusqu’aux années 1920, les noix ont alimenté les huileries du bourg qui ont longtemps maintenu une tradition de fabrication d’huile de noix, si utile pour la cuisine et pour la lampe.
On retrouve parfois leur meule, semi-enterrée et presque indétectable dans une cour de La Voyette pour la seconde, ou déposée en bordure de route, au Clos-Gouin, pour la dernière (Photo en bas et à droite).
L’apport du XIXe siècle
On lui doit les plantations d’essences exotiques (dont les cèdres) des parcs des belles demeures, anciennes seigneuries et nouvelles maisons de maîtres, le développement des truffières et l’encouragement aux plantations de peupliers.
Récoltées pendant des siècles à l’état sauvage, les truffes sont cultivées en Loudunais dès la fin du XVIIIe siècle. En 1839, plusieurs cultivateurs de la commune se sont déjà lancés dans l’aventure de la plantation des chênes truffiers. Cette année-là, une enquête officielle remarque que, « depuis un certain nombre d’années (à Ceaux), on aperçoit dans la plaine quelques bois semés nouvellement et qui ont pour but d’obtenir des truffes ». Accélérée, à la fin du XIXe, par la reconversion de beaucoup de vignes phylloxérées en truffières, la tendance ne cesse de s’accentuer jusqu’en 1914.
Grands propriétaires terriens, les Mondion développent cette nouvelle source de richesse dont ils se réservent la production. Signalée en 1867, 1883, 1899, « la pièce du bois aux truffes contenant un hectare cinquante huit ares » est exclue des baux du Bois-de-Ceaux. En 1888, un acte de partage évoque les « deux hectares, trente-quatre ares, quarante centiares de bois dit « le bois aux truffes ».
Quelques décennies plus tard, l’épuisement des sols, le braconnage, l’intérêt suscité par d’autres productions entraînent l’abandon de cette culture aléatoire et exigeante en main d’œuvre.
Le XIXe siècle voit aussi le développement de la culture des peupliers, sur les friches communales du nord de la commune, anciens marais morcelés en parcelles suffisamment petites pour rendre le fermage accessible à la grande majorité des habitants. En février 1832, les baux précisent que les adjudicataires « auront la faculté, s’il leur plait, de les défricheret d’y ensemencer tels grains et légumes qu’ils voudront », mais aussi qu’ils « planteront chacun, au bout de leurs portions, trente plantons de peuplier à deux mètres de distance les uns des autres, et ce, dans les trois premières années de jouissances ». Cette dernière clause, affinée par l’expérience, se retrouve en 1858 et 1876. Les bénéficiaires des baux sont toujours tenus de planter des peupliers mais « le plan devra, au préalable, être accepté par le maire » et « ces plantations seront faites sur les portions de terrain qui longent les chemins et non pas entre chaque parcelle affermée ».
Principales sources et références :
– Pour les arbres vivants : « La tornade du 18 juin 1863 » et « Demande de secours du curé de Ceaux », Journal de Loudun, 21 juin et 15 juillet 1863
– Pour l’entretien et la permanence des arbres : AD 86 4 E 56 174, 19 novembre 1694 – AD 37 16 J 13, 25 mars 1812 et 3 E 11314, 21 septembre 1812 – AD 86 4 E 53 347, 29 janvier 1827 et 53 519, 18 novembre 1845
– Pour l’exploitation des bois par les métayers : AD 86 4 E 53 593, 13 janvier 1865 (achat d’une maison) – AD 37 16 J 13, 12 juin 1847 – AD 86 4 E 53 347, 29 janvier 1827 – 4 E 53 723, 23 décembre 1885
– Pour la gestion des bois par les propriétaires et l’État : AD 86 EN 589, 4 juin 1679 et 4 E 53 343, 6 juillet 1823 (pour La Garennerie)
– Pour les différentes sortes d’arbres et leur utilisation : AD 86 EN 589, 28 avril 1688 (« noiseaux ») – Q2 30 art.230, 14 mars 1791 (cormiers) – 4 E 53 367, 9 ventôse an IX/28 février 1801 (amandiers) – 4 E 53 349, 17 mars 1829 (châtaigniers) – 4 E 53 355, 28 décembre 1835 (La Boule) – 4 E 54 186, 23 novembre 1817 (Guigné) – 4 E 53 721, 17 septembre 1885 (Joué)
– Pour le développement des truffières : Registre statistique du contrôle de Loudun, commune de Ceaux, 1839, coll. Jacques Sergent – Marcel Depoix, Rapport de viticulture tome 1, tapuscrit, octobre 1904 – AD 86 4 E 53 661, 22 juin 1876 – 4 E 53 708, 30 janvier et 15 mars 1883 – 4 E 53 795, 7 mars 1899 – Partage Mondion, 17 déc. 1888 (archives privées)
– pour l’encouragement à la culture des peupliers : AD 86 4 E 55 25, 24 février 1832, 53 566 et 662, 31 octobre. 1858 et 2 juillet 1876
Les arbres aujourd’hui
Le maintien des espaces boisés
Ils sont encore bien présents sur les sables du nord de la commune. Les bois (Artigny, Le Bois-au-Roi) sont des propriétés privées, mais les chemins communaux qui les sillonnent constituent d’agréables lieux de promenade et de découverte des essences forestières.
Fougères, pervenches bleues du printemps ou cyclamens d’automne qui tapissent les sous-bois ajoutent beaucoup à leur charme.
L’espace de culture est encore ponctué de nombreux bosquets où se mêlent feuillus et pins. Leur superficie a cependant tendance à se restreindre.
Arbres de plein-champ et des bords de chemin
Grandes victimes de la modernisation de l’agriculture qui commence au XIXe siècle et s’accélère dans la seconde partie du XXe, devenus une gêne pour le travail de la terre et le passage des engins, ils sont en voie de disparition. Les plus touchés ont été les chênes et les ormes. De rares exemplaires des premiers subsistent aujourd’hui à proximité des villages, les seconds, condamnés eux aussi par l’évolution technologique et décimés par l’épiphytie de graphiose des années 1970, n’existent plus à l’âge adulte.
Si nombreux autrefois, les noyers ont payé le prix fort, les arbres de plein champ d’abord, ceux des bords de chemin ensuite. En 2005, M. Pierre Meunier avançait le nombre de 90 noyers autour de La Guignetière. Ils ont été abattus au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Préservés par leurs propriétaires, les survivants se raréfient d’année en année.
Beaucoup d’arbres ont disparu en même temps que les haies qui protégeaient champs et vignes. Combinaison d’herbe, d’arbustes et d’arbres, elles protégeaient contre le vent, participaient au stockage de l’eau, fournissaient du bois de chauffage et abritaient de nombreuses espèces animales.
Quelques haies subsistent au nord de la commune, le long du chemin limitrophe entre Ceaux et Assay, à proximité du château d’Artigny, au Champ-Blanc, etc. Celle du Bois-au-Roi a disparu pendant l’hiver 2014-2015.
Parcs, jardins, vergers
Dans la zone de cultures, villages, hameaux ou maisons isolées concentrent arbres fruitiers ou ornementaux.
Très prisés, les marronniers d’Inde et les tilleuls sont particulièrement présents, isolés ou regroupés, dans l’espace privé ou l’espace public, en allées (Artigny) ou autour des places (Ceaux et La Voyette).
Les jardins peuvent abriter quelques espèces devenues rares. Le buis et le Cornouiller mâle ont en commun la dureté de leur bois, générée par une croissante lente. Sculpteurs, graveurs et ébénistes, apprécient celui du buis, d’un superbe poli quand il est travaillé. Celui du cornouiller mâle, l’un des plus durs connus, a servi au Moyen Âge pour la confection des lances et des flèches.
Il serait intéressant de rechercher dans les jardins, les espèces anciennes d’arbres fruitiers, disparues ou en voie de disparition et de faire la liste des arbres majestueux et des essences exotiques qui entourent certaines belles demeures. ARBRISSEL a mis en ligne le recensement (non exhaustif) fait sur Artigny. (Lien)
Les plantations
Initiatives communales, pour l’essentiel, elles contribuent à la transformation des paysages. Les peupleraies balbutiantes du XIXe siècle se sont étendues sur les terres publiques ou privées du nord de la commune, anciens chenevais (domaine du chanvre) peu propices aux cultures.
Les peupliers cultivés aujourd’hui sont des hybrides voire des clones de différentes espèces européennes croisées avec des espèces nord-américaines. Ils n’ont plus grand-chose à voir avec nos peupliers indigènes européens, représentés par les bouillards. L’industrie apprécie leur bois tendre et clair, résultat d’une croissance rapide (rotation d’une vingtaine d’années).
Plantations utilitaires, ils apportent aux paysages le remarquable alignement de leurs troncs et la mobilité quasi permanente de leurs feuillages.
L ‘amanderaie du bourg
Implantés dès le XVIe siècle en Loudunais, très appréciés au XIXe, les amandiers, ont été négligés ensuite au point d’être menacés de disparition. Il a fallu toute l’opiniâtreté de Jacques Manréza installé à Frontenay-sur-Dive depuis la fin des années 1960, soutenu par Vincent Aguillon, puis l’association ARBRISSEL, pour relancer les plantations. Plusieurs amanderaies ont été plantées en 2007/2008, dont celle de Ceaux (2007), dans le cadre de l’opération amandier pilotée par la CCPL.
L’amanderaie a complété un programme d’aménagement de l’entrée du bourg marquée, au début des années 2000, par la plantation de la haie de la Cité et celle des arbres du bord de la route.
Le renouveau des truffières
À la fin des années 1960, elles avaient disparu du paysage loudunais. Une fois encore, on doit leur réimplantation à Jacques Manréza, soutenu par René Monory (à l’époque maire de Loudun, conseiller général, sénateur). Lentement d’abord, d’autres propriétaires suivront. À Ceaux, comme sur les autres communes, les truffières se sont multipliées aujourd’hui.
Ce tableau des arbres remarquables ou intéressants de la commune est forcément incomplet. Nous y ajouterons tous ceux que vous nous signalerez.
Principales sources et références :
– Pour l’orme de La Voyette : AD 86 D reg. 41, 22 mars 1636 et D 152, 1671
– Pour les peupleraies aujourd’hui : site https://www.peupliersdefrance.org/
– Pour les amandiers : AD 86 4 E 27 8, 2 novembre 1561 (l’amandier en Loudunais), site https://arbrissel.org/tout-savoir-des-amandiers-et-darbrissel-en-loudunais/ (la renaissance)
– Pour la renaissance des truffières : « Des truffes sauvages aux truffes cultivées en Loudunais », Thérèse Dereix de Laplane, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Touraine, tome 23, 2010, p. 215-241
https://www.plantruffe.fr/Files/122919/4AcademieDeTourainePierreMauleonVraiPereTrufficulture.pdf