Le cimetière
Lieu de repos pour les morts, un cimetière est un lieu de mémoire où chacun peut retrouver un pan de son histoire familiale, voire des pages entières de l’histoire de la commune.
Nous ne savons rien d’un éventuel cimetière ancien, probablement situé au plus près de l’église, avant que la législation royale (Louis XVI en 1776), puis napoléonienne (1804) ne sépare les morts des vivants, pour des raisons de salubrité publique.
Le cadastre de 1838 montre un cimetière différent de celui que nous connaissons, plus vaste, plus vert, plus régulièrement animé par les travaux des hommes. Ombragé par des noyers et plusieurs ormeaux dont certains, « gênants pour creuser les fosses et nuisibles à la solidité des murs », sont vendus en 1885. Les tombes partagent l’espace avec des étendues d’herbe régulièrement affermées par la fabrique.
Deux croix, témoins de deux moments de l’histoire collective
La mission de 1890
Destinées à lutter contre la déchristianisation intérieure, les missions ont été beaucoup développées à partir du Second Empire. Ceaux en a connu plusieurs, capables de mobiliser les paroissiens pendant plusieurs jours, sans que leur effet sur le renforcement de la pratique religieuse à long terme, soit clairement établi.
Celle de février 1890, menée par des Pères rédemptoristes venus de Châteauroux, a duré plusieurs semaines et s’est terminée par la plantation de la croix du cimetière, sur laquelle le Christ, offert par la famille Allaire de Lépinay (alliée aux Mondion (par le mariage de Marie Olympe de Mondion avec Xiste Allaire de Lépinay), a été placé le dimanche des Rameaux.
La mission de 1927
Bien visible et soigneusement entretenue, une autre croix monumentale et la longue liste de noms de son socle, devant lesquels les habitants sont appelés à se rassembler tous les ans, maintiennent le souvenir des victimes de la Grande Guerre.
Au début des années 1920, le cimetière s’avère trop petit face aux demandes de concessions accrues par le rapatriement des corps depuis les cimetières du front. Le conseil municipal décide, à l’unanimité, l’annexion d’une enclave du jardin presbytéral au cimetière et la construction d’un monument destiné à perpétuer « la mémoire de ceux de nos morts dont le corps n’aura pu être ramené ». Son initiative semble lui avoir partiellement échappé.
En réponse au monument de la place qui se voulait sans insigne religieux, celui du cimetière, surmonté d’une croix, correspond probablement à une nouvelle croix de mission érigée le 3 juillet 1927.
En autorisant l’acquisition de lieux de sépulture et leur personnalisation par l’érection d’un monument, les décrets de 1804 transforment les cimetières pour en faire un reflet de la société des vivants.
Le cimetière, reflet de la société des vivants
La hiérarchie sociale respectée
L’inégalité devant la mort, autrefois marquée par la proximité plus ou moins grande du chœur de l’église et de ses reliques, se maintient dans les nouveaux cimetières par l’importance de l’espace occupé et la personnalisation des monuments funéraires.
À Ceaux, au fond du cimetière, la chapelle funéraire des Mondion domine les autres tombes. Longtemps après leur extinction en ligne directe, elle reflète une hiérarchie séculaire caractérisée par le rôle dominant des châtelains de Chavagne et d’Artigny, aussi bien dans la paroisse, par l’intermédiaire du conseil de fabrique, que dans la commune à laquelle ils ont fourni plusieurs maires.
Certaines familles paysannes ne sont pas en reste. On leur doit les quelques tombeaux-coffres encore en place, gravés et sculptés à l’image des sarcophages antiques.
L’un des plus émouvants est celui de Marie Poitevin, mariée à 17 ans à Jean Picard, dont les parents exploitent La Motte (Pouant), et décédée en 1864, à 24 ans.
L’un des plus intéressants est celui de Jean Nogues, tisserand et cultivateur, décédé à 66 ans le 30 juillet 1866. Il permet d’évoquer une famille qui, par le jeu des alliances, se hisse, en quelques générations, au niveau de la bourgeoisie terrienne, très impliquée dans la vie communale. On doit à son fils Jean (1830-1889), tisserand et propriétaire, la construction de la maison de maître des Courtils dont les grandes cheminées portent les initiales.
Sa petite-fille, Marie-Louise (1860-1889), épousera Louis Auguste Mauléon, descendant direct de Pierre, inventeur de la trufficulture française, et son arrière-petit-fils, Georges (1889-1959), clerc de notaire, propriétaire et expert, sera maire de Ceaux de 1925 à 1953.
Une autre branche de la famille, descendante d’Hilaire (1808-1879), cousin du Jean du sarcophage, a laissé son empreinte à droite de l’entrée du cimetière, avec une grande sépulture collective à stèles individuelles qui s’échelonnent de 1879 à 1919. D’autres familles adopteront ce modèle sans lui donner la même ampleur.
Deux trajectoires individuelles inscrites dans l’histoire collective
Même s’il n’est pas le seul curé enterré dans le cimetière de Ceaux, la commune a fait restaurer la tombe de Théodore Moulins dont la stèle reproduit l’entrée d’une église gothique, en mémoire de celui qui « a voulu reposer au milieu de ses paroissiens », et de son rôle dans la construction du presbytère et la reconstruction de l’église après la tornade de 1863.
Maintenue en bon état jusqu’à ce jour, la pierre tombale de Marcel Desbordes, marquée aux armes de la France, inscrit une tragédie familiale dans le grand drame collectif de 1914-1918.
À côté de ces sépultures longuement identifiées par leurs épitaphes, certaines peuvent poser une énigme.
Quelle trajectoire tourmentée cache le laconisme de l’inscription funéraire d’Ernest Wengler ? Né au Luxembourg en 1899 (date portée sur le registre d’état-civil), il s’était installé aux Mées où vivait également son fils qui vient déclarer son décès.
Même si notre époque égalitaire a gommé, sans la faire totalement disparaître, la volonté de personnalisation, les cimetières restent des lieux où mémoire individuelle et mémoire collective se rejoignent.
Celui de Ceaux gagnerait à une étude plus approfondie à laquelle chacun peut s’associer.
Principales sources et références :
– Pour la description du cimetière : délibération du 23 août 1885.
– Pour la famille Nogues et toutes les précisions généalogiques : état civil de Ceaux et site geneanet (recherches Hervé Blouin).
– Pour les victimes de la Grande Guerre : site du ministère des armées, Mémoire des hommes et état civil de Ceaux – AD 86 L 258, délibération du 12 décembre 1920.
– Pour la croix du cimetière : Archives du diocèse de Poitiers, P 1 Ceaux-en-Loudun C 1-2 boîte 3, Registres de catholicité, 1876-1894.